Comment est-ce encore possible, en 2020, de vouloir protéger la grossesse et la petite enfance sans une politique ambitieuse de Santé Environnementale ?
On attendait beaucoup du rapport de la commission présidée par Boris Cyrulnik. La phrase qui ouvre le rapport « les 1000 jours là où tout commence » permettait de penser que cet enjeu des 1000 jours serait examiné sous tous les angles. Or, la Santé Environnementale est la grande absente.
Il est surprenant de voir cette dimension expédiée en 2 paragraphes et 2 références scientifiques (sur 261) quand on sait l’importance de l’exposition aux Perturbateurs Endocriniens et plus largement l’apport du concept de la DOHAD (Origine développementale de la santé et de la maladie) sur l’action combinée des stress chimiques, nutritionnels et psychoaffectifs, non seulement pour la santé de l’enfant mais aussi celle de l’adulte et de ses descendants[1].
Le rapport a privilégié un point de vue : « Nous avons privilégié une approche centrée sur les besoins des enfants, leurs compétences et les conditions de leur construction psychique, affective, cognitive et sociale ». Pourquoi un tel choix, qui ne donne qu’une place marginale aux apports de sciences comme la toxicologie, l’épidémiologie, l’expologie, l’endocrinologie…. ?
Le rapport fait quasiment l’impasse sur les maladies infantiles, qui pour un grand nombre sont la conséquence de l’exposition pendant (et parfois même avant ) la grossesse comme l’asthme, le TDAH (Trouble du Déficit d’Attention et de l’Hyperactivité), le cancer, l’obésité…. La dimension transgénérationnelle, à savoir la santé de l’enfant c’est aussi celle de ses descendants, n’est pas développée.
Le rapport plaide à juste titre pour une meilleure organisation institutionnelle, mais les propositions restent timides alors que c’est le système de santé lui-même qui devrait être refondé sur cet enjeu de la protection des 1000 jours[2]. Les gains à attendre d’une action sur cette période sensible sont en effet très supérieurs à ceux provenant d’une action sur la population adulte en bonne santé (Schéma en Annexe).
L’enjeu plus global est de construire un système de santé en capacité de faire face à la crise sanitaire en changeant de paradigme. C’est ce que la crise du COVID a clairement mis en évidence en frappant en priorité les malades chroniques.
Le Ségur de la Santé publique annoncé par le Ministre de la Santé doit se saisir de cet enjeu.
[1] Manifeste de la Société Internationale DOHAD https://dohadsoc.org/wp-content/uploads/2015/11/DOHaD-Society-Manifesto-Nov-17-2015.pdf
« La réduction du fardeau des Maladies Non Transmissibles tout au long de la vie nécessite donc des interventions pour promouvoir un développement précoce sain, en commençant même avant la conception, ainsi que des interventions visant à maintenir la santé des enfants, des adolescents et des adultes ».
[2] Mark Hanson and Peter Gluckman, Developmental origins of noncommunicable disease: population and public health implications,
Am J Clin Nutr, 2011 https://doi.org/10.3945/ajcn.110.001206
Annexe : Mark Hanson et Peter Gluckman sont les fondateurs de la Société Internationale DOHAD
Figure 1. « Le risque de maladies non transmissibles augmente le long d’une trajectoire tout au long de la vie, contrairement aux modèles basés sur les maladies infectieuses. La variation génétique héritée et fixe ne contribue que faiblement au risque ultérieur. De plus, parce qu’elles surviennent trop tard, les interventions sur le mode de vie des adultes réduisent le risque à un faible degré ou de manière transitoire.
L’effet maximal sera obtenu grâce à des interventions opportunes en début de vie lorsque la plasticité permet d’atteindre une réduction durable de la trajectoire du risque ». https://doi.org/10.3945/ajcn.110.001206