Pour contrer l’arrivée de nouvelles crises sanitaires d’origines infectieuses et limiter le nombre croissant des maladies chroniques, il est primordial de prendre en compte l’environnement dans le système de soins.
Le contexte de l’après COVID doit nous conduire à repenser notre politique de santé pour la fonder sur l’approche One Health (Un monde, une santé) et faire face au défi de la résurgence de nouvelles crises sanitaires d’origines infectieuses face auxquelles nos organismes seront fragilisés si nous n’agissons pas sur notre environnement. Si le système de soin a résisté à la crise, avec difficulté et grâce au dévouement d’un personnel soignant en grande souffrance, il est urgent de le soulager du poids croissant des maladies chroniques pour établir le second pilier du système de santé complémentaire du système de soin : la santé environnementale.
Le 9 décembre 2020, alors que s’achève la consultation citoyenne sur le 4e Plan National Santé Environnement (PNSE 4) et tandis que le Groupe Santé Environnement (GSE) se réunit pour discuter des 19 actions proposées, nous, associations citoyennes de défense de l’environnement, des consommateurs, des usagers de santé, associations familiales et de professionnels, et syndicats demandons une révision profonde du PNSE 4 en renforçant très fortement le domaine de la santé environnementale afin de tirer les leçons de la crise sanitaire actuelle. Nous appelons à une large mobilisation citoyenne pour exiger que la santé environnementale soit au cœur de nos politiques publiques.
La crise sanitaire actuelle oblige à en analyser les causes pour apporter les corrections qui s’imposent et éviter, ou au moins limiter, l’impact des futures crises, dont chacun a bien compris qu’elles sont plus que probables. Selon l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), plus de 70 % des infections émergentes apparues au cours des 40 dernières années sont des zoonoses, autrement dit des maladies infectieuses animales transmises à l’être humain, parmi lesquelles le SARS-Cov-2, le virus à l’origine de la COVID-19. La biodiversité, massivement détruite par l’activité humaine, ne joue plus son rôle protecteur et le dégel du pergélisol lié au dérèglement climatique pourrait libérer des virus inconnus.
La croissance régulière de l’apparition de ces nouveaux agents infectieux depuis l’après-guerre témoigne d’un phénomène de fond qui ne pourra que s’amplifier au cours des décennies à venir. En 2006, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l‘agriculture (FAO) en posait le diagnostic : altération des habitats forestiers, urbanisation, intensification de l’agriculture. En 2016, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) considérait que le développement des maladies zoonotiques avait pour origine un problème environnemental, concluant que « le risque élevé de crises sanitaires majeures est largement sous-estimé ».
Si la naissance des zoonoses apparaît liée à la biodiversité, les conditions de leur développement procèdent d’une part de la mondialisation des échanges, d’autre part de la fragilisation des populations engendrée par les maladies chroniques. C’est ce qu’a résumé Hans P. Kluge, directeur de l’OMS Europe, dans une tribune publiée par le Lancet, dans laquelle il confirme que la pandémie de COVID-19 a révélé la vulnérabilité particulière de celles et ceux qui souffraient d’affections sous-jacentes et que la prévention, le contrôle de l’obésité et des Maladies Non Transmissibles sont essentiels pour se préparer aux menaces futures pour la santé publique.
Il n’est donc pas possible de s’en tenir à une analyse simpliste qui relie uniquement à l’âge la vulnérabilité à la COVID-19 alors que ce sont au moins tout autant les facteurs de comorbidité liés aux maladies chroniques qui favorisent voire développent la gravité de la maladie : obésité, diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires. En France, les dernières données de Santé Publique France montrent que 88 % des personnes hospitalisées (48 % sont des personnes atteintes d’obésité) et 94 % des personnes décédées de la COVID-19 souffraient d’un ou plusieurs de ces facteurs de comorbidité. Or le nombre des Affections de Longue Durée (ALD) pour ces maladies a doublé entre 2003 et 2017, ce qui signifie que le risque d’être sévèrement touchés et d’en décéder a progressé dans cette proportion.
Nous savons aujourd’hui de manière largement documentée que les environnements toxiques dans lesquels nous évoluons en ville et à la campagne sont pathogènes : mauvaise qualité de l’air, bruit, dégradation progressive des ressources et de la qualité de l’eau, aliments ultra-transformés, perturbateurs endocriniens, métaux lourds, CMR, HAP, etc. Les substances extrêmement préoccupantes qui nous environnent sont reliées à l’incroyable développement des maladies chroniques depuis l’Après-Guerre, et en particulier en ce début de XXIe siècle. La Commission européenne s’est positionnée sur un objectif de « Zéro pollution d’ici 2030 ». Le Président Emmanuel Macron lui-même a évoqué cette échéance dans sa déclaration du 3 septembre dernier : « Cette stratégie que nous allons lancer, ça n’est pas une stratégie pour faire face aux difficultés du moment. Non, c’est pour préparer la France de 2030 ».
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) Europe, dès 2006, puis l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU), en 2011 et 2018, qualifiaient le développement des maladies chroniques d’« épidémie ». L’ONU a repris les objectifs du millénaire pour le Développement durable, à savoir la diminution de la mortalité prématurée liée aux maladies chroniques de 30 % et l’arrêt de la progression de l’obésité et du diabète d’ici 2030. Il est urgent d’agir pour faire régresser ces maladies tant pour favoriser la qualité de vie de nos concitoyennes et concitoyens, notamment en accroissant leur espérance de vie en bonne santé et en les protégeant de la perte de leurs proches, tout particulièrement insupportable lorsqu’il s’agit de leurs enfants, que pour rendre leurs organismes plus résistants face aux nouveaux virus émergents.
C’est pourquoi nous avons été surpris et choqués de voir publier en décembre une version du PNSE 4 correspondant à des travaux préparatoires remontant à juin 2019, sans faire référence à ces engagements, sans tenir compte des leçons de la crise sanitaire et sans prendre en considération la crise climatique, comme si celle-ci n’imposait pas de penser notre environnement pour y faire face et de réinterroger notre système agricole et alimentaire. En outre, malgré les critiques émises sur la façon de concevoir les précédents plans, à savoir l’absence d’indicateurs permettant de quantifier les progrès et de moyens dédiés, cette version reste construite selon la même logique. Face aux enjeux, il est clair que ce n’est pas suffisant.
Cette faiblesse propositionnelle n’est pas un phénomène isolé. En témoignent les résultats décevants des États Généraux de l’Alimentation et la quasi-absence de la prise en compte des enjeux de la contamination chimique de l’alimentation, les décisions telles que la réintroduction des néonicotinoïdes, le déploiement de la 5G avant même l’évaluation de ses risques par l’ANSES ou encore la tenue d’une réunion du comité de suivi de la Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE), le 13 octobre dernier, réduite aux seules administrations et donc sans que les associations qui portent la volonté citoyenne d’un environnement plus favorable à leur santé y soient conviées. Quant au Ségur de la santé, il a abouti à des résultats plutôt décevants pour le personnel soignant et n’a pas pris en compte la santé environnementale alors que la crise sanitaire était l’occasion d’organiser un véritable Ségur de la Santé Publique et de la Santé environnementale. Ce sont autant de signaux négatifs qui vont dans le même sens d’une vision décalée par rapport aux enjeux et d’un recul démocratique.
Cet objectif doit faire l’objet d’un débat démocratique. C’est pourquoi nous sollicitons toutes les forces citoyennes et politiques pour qu’elles fassent de la santé environnementale un axe majeur de leurs exigences et de leurs propositions pour les prochaines échéances démocratiques à venir et qu’elles la considèrent à sa juste proportion parmi les préoccupations de la population, ainsi que dans sa corrélation avérée aux inégalités sociales. Nous appelons à la mobilisation citoyenne afin de porter cette promotion de la santé environnementale à tous les niveaux de décisions, qu’ils soient politiques, institutionnels ou industriels, avec l’objectif fondamental de faire disparaître de notre environnement les éléments pathogènes qui nous rendent infertiles, engendrent les maladies chroniques qui nous fragilisent face aux nouveaux virus, qui nous handicapent et qui nous tuent.
SIGNATAIRES
Arnaud APOTEKER, Justice Pesticides
Muriel AUPRINCE, Coll’Air Pur Santé
Alain BAZOT, UFC-Que Choisir
Elisabeth CARBONE, Miramap
André CICOLELLA, Réseau Environnement Santé
Alain COLLOMB, Association Santé Environnement France
Nathalie DELPHIN, Syndicat des Femmes Chirurgiens Dentistes
Laure DUCOS, Greenpeace France
Cathy et Richard FAITG, Collectif Environnement Santé 74
Laura GERARD, Confédération syndicale des familles
Nicolas GIROD, Confédération paysanne
Lamia KERDJANA, Jeunes Médecins
Christian KHALIFA, Indecosa CGT
Laurent LALO, Fédération Grandir Sans Cancer
Christine MALFAY-REGNIER, SOS-MCS
Agnès MAURIN, Ligue Contre l’Obésité
Véronique MOREIRA, WECF France
François MOURGUES, C2DS
Tania PACHEFF, Cantine Sans Plastique France
Sophie PELLETIER, PRIARTEM
Serge PROVOST, Association Nationale des Animaux Sous Tension
Virginie RIO, Collectif BAMP
Carole ROBERT, Fibromyalgie France
Arnaud SCHWARTZ, France Nature Environnement
Ghislaine SICRE, Convergence Infirmière
Jacques TESTART, Sciences Citoyennes
Marie THIBAUD, Collectif Stop aux cancers de nos enfants
Mathé TOULLIER, Association des Familles Victimes du saturnisme
François VEILLERETTE, Générations Futures