L’ANSES a rendu public hier un rapport d’évaluation des risques du bisphénol A qui fait suite au rapport d’identification des dangers publié en septembre 2011 et qui se penche aussi sur le profil toxicologique des autres substances de la famille des bisphénols et de plusieurs alternatives disponibles au BPA.
Le Réseau Environnement Santé salue un rapport courageux qui, par bien des points, révolutionne l’expertise institutionnelle en dépit des pressions qui ont pu s’exercer sur l’ANSES :
– revue systématique de la littérature au lieu de ne considérer que les études issues de l’industrie (répondant auxbonnes pratiques de laboratoire) ;
– reconnaissance du paradigme toxicologique spécifique à la perturbation endocrinienne, dont priorité accordée à la protection du fœtus ;
– poids accordé à la démarche d’identification-évaluation des dangers et reconnaissance des limites de l’évaluation des risques ;
– par conséquent, interprétation des incertitudes scientifiques en faveur d’une approche de précaution plutôt que de l’inaction et du statu-quo réglementaire.
L’évaluation des risques du BPA conduite par l’ANSES se penche sur 4 familles de pathologies : effets sur le développement cérébral, effets sur la glande mammaire, effets sur le système reproducteur femelle et effets sur le métabolisme et l’obésité. L’étude de la littérature, arrêtée en janvier 2011, n’a pas permis la prise en compte de travaux plus récents comme ceux sur le développement testiculaire de l’équipe française de René Habert [1] ou ceux de l’épidémiologiste Shankar sur le syndrome métabolique chez l’humain [2]. Néanmoins, le rapport de l’ANSES aboutit au calcul de valeurs toxicologiques de référence entre 5 000 et 20 000 fois inférieures à la DJA toujours défendue par l’EFSA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments) – des valeurs tellement faibles qu’elles ne peuvent être atteintes que par une interdiction progressive des usages du bisphénol A. Pour André Cicolella, président du RES, « ce nouveau rapport constitue un clair désaveu de l’EFSA tant dans son maintien d’une DJA qui n’assure pas la sécurité des consommateurs que dans son obstination à ignorer la science moderne propre à la perturbation endocrinienne ».
Le rapport de l’ANSES confirme donc l’option réglementaire engagée par la France et invite à son extension à d’autres applications comme les tickets de caisse ou les bonbonnes d’eau en polycarbonate des bureaux et établissements publics. Sans pouvoir conclure sur les profils toxicologiques des autres substances de la famille des bisphénols, l’ANSES invite les industriels à se détourner de ces produits chimiques. De même, l’agence appelle l’industrie à tester plus systématiquement les produits de remplacement du point de vue de la perturbation endocrinienne, rappelant ainsi que cette responsabilité lui incombe. « Le bisphénol S (BPS) est déjà employé comme alternative dans les papiers thermiques tandis que plusieurs marques de biberons ont adopté le polyéthersulfone (PES) qui est à base de BPS » s’inquiète Yannick Vicaire, chargé de mission au RES, « les consommateurs ne pourront avoir confiance que lorsque l’industrie chimique cessera ce petit jeu cynique où un toxique chasse l’autre et adoptera une vraie approche globale de chimie verte pour concevoir des produits dépourvus de PE (EDC-free) ».
Pour le RES, il incombe à la Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE) de poursuivre certains axes de travail identifiés ou laissés de côté par le rapport de l’ANSES :
– compléter le dispositif réglementaire de contrôle du BPA et de ses congénères, en particulier sur le papier thermique et d’autres usages « grand public » comme les bonbonnes ;
– faire adopter des mesures similaires au niveau européen et remettre en cause la DJA ;
– ne pas éluder la contamination environnementale qui ressort des mesures effectuées sur le poisson et les mollusques et de cette « contamination ubiquitaire dont l’origine n’est pas identifiée qui représente entre 25 et 30% de l’exposition totale » par ingestion ;
– assurer la protection des malades chroniques vis-à-vis du BPA et investiguer l’imprégnation propre aux dispositifs médicaux ;
– mettre en place un cadre pour inciter l’industrie chimique à concevoir des alternatives sûres dépourvues d’effets endocriniens.
André Cicolella conclut : « Comme pour le BPA, la feuille de route de la SNPE doit être axée autour de la protection du fœtus et donc de l’objectif de non-contamination de l’organisme des parents par aucun PE ».
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[1]. http://www.aviesan.fr/fr/aviesan/home/aviesan-news/harmful-effects-of-bisphenol-a-proved-experimentally[2]. Entre autres publications : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23251154