Contexte. L’EFSA (agence européenne pour la sécurité de l’alimentation) a rendu son rapport sur la réévaluation de l’aspartame. Cette réévaluation fait suite à la demande formulée par le RES en 2011 et prise en compte par la Commission Européenne en 2012.
Un pré-rapport avait été publié par l’EFSA le 8 janvier 2013 dont le RES avait fait la critique[1]. Le RES a participé à l’audition organisée par l’EFSA le 9 avril 2013 à Bruxelles.
L’avis de l’EFSA ne répond pas aux critiques graves qui lui ont été faites publiquement par le RES.
L’EFSA publie la conclusion de l’avis du RES (N° 188), mais ne répond pas aux critiques formulées, qui sont pourtant des critiques particulièrement graves.
Le rapport conclut ainsi que « que la dose journalière acceptable (DJA) actuelle de 40 mg/kg de poids corporel/jour constitue une protection adéquate pour la population générale ». Or cette DJA repose sur des rapports issus de l’industrie datant de 1973 et 1974 qui n’ont jamais été publiés dans une revue scientifique, ce qui signifie qu’ils n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation indépendante par les pairs, ce qui est pourtant la première étape d’une évaluation des risques.
Ces études ont été faites par les laboratoires Hazleton, dont la qualité des travaux a été jugée inacceptable par une mission conduite par la Food and Drug Administration en 1977 (rapport Bressler) (Voir ci-dessous le témoignage d’une coauteure Jacqueline Verrett).
A aucun moment cette critique particulièrement grave n’est même discutée.
Le RES avait mis en évidence que certaines parties du rapport de l’EFSA étaient un simple copier-coller d’un rapport publié en 2007 par un consultant, le groupe Burdock, travaillant pour le fabricant d’aspartame Ajinomoto (“Effect of Aspartame on behaviour and cognition”, 60 lignes sont identiques sur 96 lignes (de 3396 à 3492). L’avis se contente de dire que c’était une erreur isolée.
Le rapport continue d’écarter des études animales publiées dans les meilleures revues de santé environnementale montrant la cancérogénicité sur le rat et la souris (lymphomes et leucémies), alors qu’une étude épidémiologique portant sur 122 000 personnes consommateurs de boissons avec édulcorant a confirmé la survenue de lymphomes et de leucémies[2]. Cette étude est écartée sans explication.
Une étude argentine montrant que le risque de cancer des voies urinaires augmente avec la durée de consommation de boissons light (risque doublé après ajustement sur l’âge, le genre, l’IMC, le statut social et le tabagisme) n’avait même pas été analysée. L’EFSA le reconnaît, mais continue de l’écarter sans raison[3].
Les études épidémiologiques portant sur la prématurité liée à la consommation de boissons avec édulcorant par la femme enceinte sont écartées également sans raison[4]. Une étude française, menée auprès de 66 118 femmes parue après la publication du rapport EFSA, montre un lien entre boissons light et diabète de type 2, ce qui conforte les résultats de l’expérimentation animale[5]. Elle est écartée au motif que le problème n’est pas spécifique à l’aspartame. Raisonnement exact (un autre édulcorant est en cause, l’acesulfame K), mais surprenant, car l’aspartame est bien en cause, même s’il agit de concert avec un autre édulcorant.
Plus récemment des études montrant des troubles cognitifs chez l’animal n’étaient même pas citées[6]. Sans expliquer la raison de leur non prise en compte, l’EFSA les invalident maintenant en raison du mode d’exposition (injection sous-cutanée). L’étude de 2012 permettrait de calculer une DJA à 20 µg/kg, soit une dose 2000 fois plus faible que l’actuelle DJA. Une étude de 2004 utilisant comme voie d’exposition l’eau de boisson à des doses plus élevées est écartée pareillement, alors qu’elle pourrait servir de base pour définir une DJA à 250 µg/kg/j[7]. Une étude récente montrant des effets à 500 mg/kg/j, ce qui permettrait de définir une DJA à 500 µg/kg/j est invalidée sans raison[8].
L’ANSES ne peut pas continuer de couvrir les manquements de l’EFSA.
En conclusion, l’EFSA continue de produire des avis au mépris des règles de base de la déontologie de l’expertise et de couvrir ainsi une fraude manifeste. Elle continue d’écarter les études qui mettent en cause le choix de la DJA de 40 mg/kg le plus souvent sans raison. C’est un processus de même type qui est en cours avec le bisphénol A, pour lequel l’EFSA continue d’ignorer 95 % de la littérature scientifique.
L’agence française ANSES a su prendre ses distances avec l’EFSA sur le bisphénol A. Sur la question de l’aspartame, elle a été alertée par le RES depuis plusieurs années. Jusqu’à quand va-t-elle, elle-aussi, couvrir cette fraude ?
La loi de protection de l’alerte et de l’expertise prévoit la création d’une commission consultative sur la déontologie de l’expertise, mais à ce jour cette commission n’est toujours pas mise en place. On en voit pourtant aujourd’hui l’utilité.
Le RES demande :
• la mise en place de la commission prévue par la loi alerte expertise.
• la nomination d’une commission d’enquête parlementaire en France et en Europe sur ces manquements graves tant de l’EFSA que de l’ANSES concernant l’aspartame.
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Annexe :
Dans son témoignage sous serment devant le congrès américain, Jacqueline Verrett, toxicologue de la FDA ayant participé à la rédaction de ce rapport déclarait à propos de ces études :
« Aucun protocole n’était écrit avant que l’étude ne soit mise en route; les animaux n’étaient pas étiquetés de façon permanente pour éviter des mélanges […] il y avait un mesurage sporadique de la consommation alimentaire et/ou un report inadéquat de la consommation et du poids des animaux; des tumeurs étaient enlevées et les animaux étaient remis dans l’étude; des animaux étaient enregistrés comme morts, mais des enregistrements ultérieurs les classaient comme vivants […] Au moins une de ces aberrations aurait suffi à annuler cette étude destinée à évaluer un additif alimentaire […] .Il est impensable que n’importe quel toxicologue, après une évaluation objective des données résultant d’une telle étude puisse conclure autre chose que l’étude était ininterprétable et sans valeur et qu’elle devrait être refaite». (Source Devra Davis «The secret history of the war on cancer” Basic Books Ed New York 2007).
[1]. Lire le rapport
[2]. Schernhammer ES, Bertrand KA, Birmann BM, Sampson L, Willett WC, Feskanich DAm J Consumption of artificial sweetener- and sugar-containing soda and risk of lymphoma and leukemia in men and women. Clin Nutr. 2012 Dec. Epub 2012 Oct 24.
Soffritti M, Belpoggi F, Degli Esposti D, Lambertini L, Tibaldi E and Rigano A, 2006. First experimental demonstration of the multipotential carcinogenic effects of aspartame administered in the feed to Sprague-Dawley rats. Environmental Health Perspectives, 114, 379-385.
Soffritti M, Belpoggi F, Tibaldi E, Degli Esposti D and Lauriola M, 2007. Life-span exposure to low doses of aspartame beginning during pre-natal life increases cancer effects in rats. Environmental Health Perspectives, 115, 1293-1297.
Soffritti M, Belpoggi F, Manservigi M, Tibaldi E, Lauriola M, Falcioni L and Bua L, 2010. Aspartame administered in feed, beginning pre-natally through life span, induces cancers of the liver and lung in male Swiss mice. American Journal of Industrial Medicine, 53, 1197-1206.
[3]. Andreatta MM, Muñoz SE, Lantieri MJ, Eynard AR, Navarro A. Artificial sweetener consumption and urinary tract tumors in Cordoba, Argentina. Prev Med. 2008 Jul;47(1):136-9.
[4]. Halldorsson TI, Strøm M, Petersen SB, Olsen SF.Intake of artificially sweetened soft drinks and risk of preterm delivery: a prospective cohort study in 59,334 Danish pregnant women. Am J Clin Nutr. 2010 Sep;92(3):626-33.
Englund-Ögge L, Brantsæter AL, Haugen M, Sengpiel V, Khatibi A, Myhre R, Myking S, Meltzer HM, Kacerovsky M, Nilsen RM, Jacobsson B.Association between intake of artificially sweetened and sugar-sweetened beverages and preterm delivery: a large prospective cohort study.Am J Clin Nutr. 2012 Sep;96(3):552-9.
[5]. Fagherazzi G, Vilier A, Saes Sartorelli D, Lajous M, Balkau B, Clavel-Chapelon F Consumption of artificially and sugar-sweetened beverages and incident type 2 diabetes in the Etude Epidemiologique aupres des femmes de la Mutuelle Generale de l’Education Nationale-European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition cohort. Am J Clin Nutr. 2013 Jan 30.
Collison KS, Makhoul NJ, Zaidi MZ, Saleh SM, Andres B, Inglis A, Al-Rabiah R and Al-Mohanna FA, 2012. Gender dimorphism in aspartame-induced impairment of spatial cognition and insulin sensitivity. Public Library of Science One, 7, e31570.
Collison KS, Makhoul NJ, Zaidi MZ, Al-Rabiah R, Inglis A, Andres BL, Ubungen R, Shoukri M and Al-Mohanna FA, 2012a. Interactive effects of neonatal exposure to monosodium glutamate and aspartame on glucose homeostasis. Nutrition and Metabolism, 14, 9, 58.
[6]. Abdel-Salam OM, Salem NA, Hussein JS. Effect of aspartame on oxidative stress and monoamine neurotransmitter levels in lipopolysaccharide-treated mice. Neurotox Res. 2012 Apr;21(3):245-55.
Abdel-Salam OM, Salem NA, El-Shamarka ME, Hussein JS, Ahmed NA, El-Nagar ME. Studies on the effects of aspartame on memory and oxidative stress in brain of mice. Eur Rev Med Pharmacol Sci. 2012 Dec;16(15):2092-101.
[7]. Christian B, McConnaughey K, Bethea E, Brantley S, Coffey A, Hammond L, Harrell S, Metcalf K, Muehlenbein D, Spruill W, Brinson L, McConnaughey M. Chronic aspartame affects T-maze performance, brain cholinergic receptors and Na+,K+-ATPase in rats. Pharmacol Biochem Behav. 2004 May;78(1):121-7.
[8]. Abhilash M, Sauganth Paul MV, Varghese MV, Nair RH. Long-term consumption of aspartame and brain antioxidant defense status Drug Chem Toxicol. 2013 Apr;36(2):135-40.