Le 14 novembre 2019. Le mystère autour des causes de cas groupés de naissances de bébés souffrant d’ATMS (agénésies transverses des membres supérieurs) dans plusieurs régions françaises sera-t-il un jour éclairci ? Rien n’est moins sûr à l’issue de la réunion du comité d’orientation et de suivi (COS) qui s’est tenue le 5 novembre. Alors qu’un premier rapport de Santé Publique France et de l’Anses a été publié en juillet dernier, les associations font aujourd’hui part de leurs interrogations sur les propositions du Ministère de la Santé, reprises par les Agences. Du côté des familles, l’exclusion de certaines de l’enquête est incomprise, tandis que les autres n’ont plus l’espoir de voir les recherches aboutir, puisque la disparition du COS dans sa forme actuelle a été annoncée lors de la réunion. Les associations qui ont participé aux travaux sont quant à elles très critiques sur l’enquête menée, les perspectives envisagées, et plus largement les politiques de santé environnementale actuelles.
Nos principales demandes
- Mise en place de registres régionaux aux moyens appropriés, indispensables au signalement des cas de malformations et l’identification le cas échéant de cas groupés ;
- Décloisonnement et partage des données, notamment via les opendata (données de biosurveillance, et épidémiologiques contamination de l’air des eaux, des sols, des eaux, données d’épandage, etc.) entre les agences et acteurs concernés, sous une forme lisible, accessible et exploitable par les acteurs chargés des investigations ;
- Implication de tous les ministères potentiellement concernés, au-delà des seuls ministères de la santé et de l’écologie : recherche, agriculture, etc. ;
- Investigations systématiques menées sur le terrain en cas de suspicion de cas groupés de malformations (ATMS et plus largement autres types), dont des prélèvements biologiques à la naissance auprès des familles touchées (dans le respect de la protection des données), et toutes investigations nécessaires sur les sources de pollutions avoisinantes possiblement en cause (pollutions chimiques, physiques notamment), qu’elles soient liées à des activités agricoles, industrielles, etc. ;
- Renforcement du rôle de l’Anses dans les investigations, en tant qu’Agence pratiquant de longue date une ouverture à la société civile, avec une pluralité des compétences et secteurs d’investigation ;
- Amélioration significative de la prise en charge des familles d’enfants touchés par des ATMS et autres pathologies mises en évidence à la naissance sur l’ensemble du territoire ;
- Politique cohérente de recherche des causes environnementales des maladies, en lien avec les objectifs du 4ème Plan National Santé Environnement et de la seconde Stratégie Nationale Perturbateurs Endocriniens notamment.
Cas groupés de malformations : cachez ces ATMS que je ne saurais voir ?
Tout a commencé par les signalements faits dès 2010 par le REMERA (Registre des malformations de Rhône-Alpes) concernant des cas d’enfants nés sans bras, groupés dans l’Ain. Des signalements qui se poursuivront jusqu’en 2016 [1] . Ces malformations spécifiques, considérées comme rares [2], ont ici intrigué par leur concentration géographique et temporelle : pour le REMERA, il s’agit d’un excès de cas. Des cas similaires ont également été signalés en Bretagne et en Loire-Atlantique, et dans les Bouches-du-Rhône, comme potentiellement dans d’autres départements passés sous silence en l’absence de registres. Saisis en octobre 2018 par les ministères de la santé, de l’écologie et de l’agriculture, Santé Publique France et l’Anses, constituent un comité d’experts scientifiques (CES) pour les aider à identifier et analyser les hypothèses et causes de ces possibles cas groupés. Le CES est chargé de travailler sur 3 zones : Rhône-Alpes, Bretagne et Loire-Atlantique. Il est accompagné d’un comité d’orientation et de suivi (COS) auquel participent notamment les familles et des associations. Le CES rend un premier rapport en juillet 2019 [3] : au grand désarroi des familles concernées, il estime que les cas de l’Ain ne sont pas des cas groupés, et cesse les investigations les concernant. Il valide le groupement de cas en Bretagne, et ne se prononce pas sur la Loire-Atlantique, par manque de données. Les Bouches-du-Rhône, mentionnées par le COS, ne sont pas évoquées dans le rapport. Quant aux potentielles causes, il n’en identifie aucune, et remet des conclusions éventuelles à plus tard. Dans le cadre d’une plainte déposée par une famille de l’Ain, le pôle de santé publique du parquet de Marseille vient tout juste d’ouvrir une enquête préliminaire pour mise en danger de la vie d’autrui. La justice réussira-t-elle là où les autorités sanitaires ont pour l’instant échoué ? C’est en tout cas le dernier recours.
Les potentielles origines environnementales des ATMS groupées restent non élucidées
En 2019, soit de nombreuses années après, quelles données de terrain recueillir sur les contaminations dont auraient été victimes les mères des enfants concernés lors de la période critique de la grossesse au cours de laquelle se joue la formation des membres supérieurs ? Quid des recherches en matière de pollutions des sols, de l’air ou de l’eau par des molécules préoccupantes : pesticides, activités industrielles voisines par exemple ou autres sources ? Des données auxquelles les agences n’ont pas toujours accès, ou alors sous une forme difficilement exploitable, ce qui les empêche de mener à bien leur travail ! L’investigation ne porte pas non plus sur des produits utilisés de manière frauduleuse [4] .
Les demandes de prélèvements biologiques ou sur site faites par les familles sont restées sans écho de la part des experts ou des agences, et la « complexité » ou la grande « incertitude » des résultats potentiels de tels prélèvements a été régulièrement rappelée au cours des réunions successives du COS. Des contributions citoyennes, listées dans le rapport, évoquent diverses pistes [5] .
La revue de littérature internationale prévue sur les substances chimiques préoccupantes qui seraient mises en cause dans des cas d’ATMS n’aboutira que dans de nombreux mois, avec une probabilité quasi-nulle de faire la lumière sur les cas concernés. Cette revue, véritablement surdimensionnée, vouée à l’échec et coûteuse en ressources, est-elle un choix judicieux ?
Identifier un polluant isolé s’apparente à chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais aujourd’hui les données scientifiques sont nombreuses : croiser les données des études de biosurveillance (Esteban, publiée justement par Santé Publique France [6]) et des cohortes de suivi de femmes enceintes et bébés, réalisées justement en France (Pelagie [7], Sepages, Constances, etc.) avec d’autres données n’est-il pas devenu indispensable ? Ces données sont générées avec de l’argent public, et doivent servir l’action en santé publique qui bénéficie à toute la population, et non pas être confinées à un petit cercle d’initiés.
Une feuille de route en demi-teinte pour traiter des malformations congénitales
Le 5 novembre lors du CES, l’intervention du Directeur général de la Santé, venu présenter sa feuille de route [8] suscite des espoirs : des avancées intéressantes pour le signalement des cas, la qualité des données, ainsi que la prise en charge des familles, sont mentionnées. Des espoirs qui laissent la place à l’incompréhension lorsqu’il est annoncé aux membres du COS, en contradiction avec ce qu’avait laissé entendre le Directeur général de la santé, qu’un « comité de pilotage de la surveillance des malformations congénitales », au mandat très général vient se substituer au COS sur les ATMS, tout simplement supprimé, alors qu’un rapport final n’a pas encore été rendu ! En outre, l’absence de calendrier et de mesures concrètes déjà engagées sur le terrain dans les 9 derniers mois d’enquête, font craindre un statu quo sur cette question des malformations.
Causes environnementales des maladies : revoir d’urgence les politiques
Qu’il s’agisse de malformations congénitales, cancers de l’enfant, troubles de la reproduction ou encore du comportement, ces maladies « rares » [9] prises séparément recoupent de mêmes préoccupations. Les mêmes questions se posent sur les causes environnementales probables de cas de cancers pédiatriques localisés à Sainte-Pazanne (Loire-Atlantique), que pour les cas d’ATMS. Le 30 septembre dernier était d’ailleurs organisé au sein de l’Institut National du Cancer (InCA), un séminaire portant sur la recherche en cancérologie pédiatrique [10], sous l’égide du ministère de la recherche : les participants partageaient les mêmes demandes que pour les cas d’ATMS, pointant « l’inexistence, bien souvent, de questionnaires épidémiologiques soumis aux familles d’un enfant diagnostiqué d’un cancer et […] le prélèvement et la conservation systématiques d’échantillons biologiques, associés à des prélèvements environnementaux sur site.»
Un seul objectif : prévention primaire des expositions environnementales en cause dans des maladies graves chez les enfants
Dans le dossier des ATMS, les ministères de l’agriculture et de la recherche ont été singulièrement absents : leur implication serait pourtant souhaitable pour assurer une transversalité devenue indispensable en 2019. A quoi bon adopter un 4ème PNSE (Plan National Santé Environnement) pour ne pas modifier en profondeur les approches inefficaces encore à l’œuvre, négligeant des mois de travaux ?
[1] Clusters de malformations : une trop longue controverse, Pr Jacques Estève et Dr Elisabeth Gnansia, mai 2019, https://www.remera.fr/wp-content/uploads/2019/05/Clusters-de-malformations-une-trop-longue-controverse.pdf
[2] Les ATMS touchent en moyenne 1 enfant pour 10 000 naissances.
[3] Comité d’experts scientifiques ATMS. Premier rapport sur les agénésies transverses des membres supérieurs (ATMS), Rapport du comité d’experts scientifiques. Anses. Santé Publique France, 11 juillet 2019, 267 p., https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2019/atms-publication-du-premier-rapport-du-comite-d-experts-scientifiques
[4] Le service méconnu de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) peut notamment jouer un rôle dans ce cadre. Les données qu’il peut avoir ne sont pas communiquées aux agences. https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/Notre-institution/Nos-composantes/Au-niveau-central/Les-offices/Office-central-de-lutte-contre-les-atteintes-a-l-environnement-et-a-la-sante-publique-OCLAESP
[5] Annexe 21, p. 241 et suiv., rapport Santé Publique France/Anses du 11 juillet 2019, Op. cit.
[6] Données de l’étude ESTEBAN publiées en septembre 2019 portant sur la présence de biomarqueurs identifiant des polluants (bisphénols, phtalates, parabènes, éthers de glycol, retardateurs de flamme et les composés perfluorés) de 1100 enfants et 2500 adultes, sur la base de prélèvements biologiques et de questionnaires https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2019/polluants-du-quotidien-donnees-inedites-chez-les-enfants-et-les-adultes
[8] Intitulé « Feuille de route pour la surveillance et la connaissance des facteurs de risque des ATMS et plus largement des malformations congénitales et pour l’amélioration de l’accompagnement et la prise en charge des famille », le document n’est pas pas encore publié.
[9] Selon une étude du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) datée de 2017, le cancer de l’enfant a augmenté de 13% au cours des deux dernières décennies dans le monde. https://www.iarc.fr/wp-content/uploads/2018/07/pr251_E.pdf