Depuis 1990, les cas de cancers ont doublé en France métropolitaine selon les données publiées le 4 juillet 2023 par Santé publique France. Mais pourquoi ? Alors que les connaissances scientifiques d’aujourd’hui démontrent amplement que le cancer est principalement une maladie environnementale, pourquoi la santé environnementale n’est toujours pas devenue un pilier du système de santé ?
Le cancer est une épidémie qui touche des populations de plus en plus jeunes
La publication de Santé publique France (SpF) constate une progression spectaculaire du cancer en France depuis 1990[1] : « En 2023, le nombre de nouveaux cancers, toutes localisations confondues, est estimé à 433 136 cas. …. Entre 1990 et 2023, le nombre de nouveaux cas de cancers a doublé, avec une augmentation de 98% des cancers chez l’homme et de 104% chez la femme, toutes localisations confondues. En France, ils représentaient la première cause de mortalité avec 157 400 décès en 2018. »
En 1971, le président américain Richard Nixon présentait son plan : « Dans 20 ans, nous aurons vaincu le cancer ». Malgré les moyens considérables mis sur la recherche des traitements, le résultat n’est pas à la hauteur des espérances, comme on pouvait le penser il y a une cinquantaine d’année. Le cancer n’est pas éradiqué, il progresse presque partout dans le monde. Il est temps de s’interroger sur les causes de cet échec.
Il est donc primordial de comprendre les causes au vu des données scientifiques les plus récentes. Au lieu de cela, le rapport de Santé publique France conclut de façon habituelle sur les causes évitables : « l’obésité et la sédentarité, le tabagisme, notamment pour le cancer du poumon, l’infection à HPV pour le cancer du col de l’utérus, ou encore les expositions aux ultraviolets (naturels ou artificiels) pour le mélanome cutané ».
Le rapport de Santé publique France met en évidence que les cancers dominants sont chez la femme le cancer du sein « dont les principaux connus sont les facteurs hormonaux et reproductifs, l’alcool, le surpoids, la sédentarité et le tabac » et chez l’homme le cancer de la prostate dont l’augmentation est présentée ainsi : « Comme pour le dépistage, l’amélioration des méthodes de diagnostic s’accompagne généralement d’une hausse de l’incidence, souvent suivie d’une diminution ».
Dans les 2 cas, cancer du sein et cancer de la prostate, pas un mot sur l’environnement et notamment sur les perturbateurs endocriniens. Une telle absence est très surprenante alors que le consensus international les intègre comme une cause dominante (voir annexe).
Le rapport de l’Endocrine Society en 2015 conclut : « Il y a un fort niveau de preuve au plan mécanistique et expérimental chez l’animal, et épidémiologique chez l’humain, notamment pour les effets suivants : obésité et diabète, reproduction chez la femme et l’homme, cancers hormono-dépendants chez la femme, cancer de la prostate, effets thyroïdiens, neurodéveloppementaux et neuroendocriniens».[2]
Ce qu’apportent les comparaisons internationales
Le rapport SPF fournit les données en « taux d’incidence standardisés monde » : 355 et 274 cas pour 100 000 personnes-années chez l’homme et la femme respectivement.… Depuis 1990, chez la femme, le taux d’incidence « tout cancer » augmente de façon continue de +0,9% par an. Chez l’homme, ce taux a augmenté en moyenne de +0,3% par an de 1990 à 2023. Cela signifie déjà que le vieillissement n’est pas par définition l’explication de cette progression, les données « standardisées sur la population mondiale » supprimant les différences liées à la proportion plus ou moins importante de personnes âgées entre pays.
Cela permet en outre des comparaisons entre pays, ce que fournit le Centre International de Recherche sur le cancer (CIRC) sur son site Globocan[3]. Les cancers hormono-dépendants (sein et prostate) sont devenus les cancers les plus fréquents dans le monde.
Les graphiques de Globocan en annexe montrent que les pays les plus touchés sont ceux de l’Europe et de l’Amérique du Nord. La France se classe au
- 9ème rang mondial pour le nombre de cas de cancer (5ème pour les hommes et 12ème pour les femmes). Au niveau européen, elle occupe la 5ème place (2ème pour les hommes et 8ème pour les femmes).
- 4ème rang mondial pour le cancer du sein, avec un taux comparativement élevé de 99 par rapport au Japon (76,3) et au Bhoutan (5). Un autre rapport de Santé publique France[4]classe l’Ile de France avec un taux de 104 ce qui la situerait en 4ème place et Paris en 1ère place avec un taux de 114.
- 6ème rang mondial pour cancer de la prostate, en France métropolitaine, mais les Antilles se distinguent, Guadeloupe et Martinique ayant les taux les plus élevés au monde. L’écart entre Guadeloupe (183,6), Martinique (168,4) et France métropolitaine (99) avec le Japon (51,8) et le Bhoutan (0,9) peut difficilement s’expliquer par le seul sur-ou sous-diagnostic.
L’âge n’explique pas tout
Le rapport SpF ne mentionne que l’âge moyen de survenue des cancers « L’âge médian au diagnostic est de 70 ans et de 68 ans respectivement chez l’homme et la femme ». Chez les <59 ans la France est le 3ème pays au monde pour tous cancers (3ème chez les hommes et 5ème chez les femmes). Dans cette tranche d’âge, elle est le 1er pays européen (1er chez les hommes et 3ème chez les femmes). Elle est 2ème pour le cancer du sein chez les femmes < 59 ans au niveau mondial.
L‘évolution par tranches d’âge est confirmée par les données de la CNAM pour les ALD. Entre 2003 et 2017, l’incidence a progressé de 16 % chez les < 60 ans (50 % de progression pour maladies cardio-vasculaires, diabète et cancers) alors que cette population était quasiment stable (+1%). Entre 2003 et 2019, chez les 0-19 ans, la progression a été de 18 % pour une population qui a progressé de 3%. Chez les 20-39 ans, la progression a été de 30% pour une population qui a diminué de 7%. Ces évolutions ne peuvent pas être passées sous silence, car elles annoncent des taux plus élevés lorsque ces jeunes générations vont vieillir.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la quasi-totalité des études épidémiologiques sur les migrants montrent que ceux-ci adoptent en une génération le taux de cancer du pays d’accueil. C’est donc l’environnement au sens le plus global qui est en cause.
En conclusion :
- L’analyse fournie par Santé Publique France ne prend pas en considération des données majeures sur l’évolution du cancer en France.
- Les connaissances scientifiques d’aujourd’hui démontrent amplement que le cancer est principalement une maladie environnementale.
- L’épidémie de cancer ne pourra pas reculer par l’effet du seul progrès thérapeutique. Une politique de santé environnementale est plus que jamais nécessaire.
[1] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-sein/documents/article/incidence-des-principaux-cancers-en-france-metropolitaine-en-2023-et-tendances-depuis-1990
[2] Diamanti-Kandarakis E, Bourguignon JP, Giudice LC, Hauser R, Prins GS, Soto AM, Zoeller RT, Gore AC. Endocrine-disrupting chemicals: an Endocrine Society scientific statement. Endocr Rev. 2009 Jun;30(4):293-342. doi: 10.1210/er.2009-0002
[3] Globocan https://gco.iarc.fr/
[4] https://www.santepubliquefrance.fr/regions/ile-de-france/documents/rapport-synthese/2019/estimations-regionales-et-departementales-d-incidence-et-de-mortalite-par-cancers-en-france-2007-2016-ile-de-france