Le RES est totalement solidaire des revendications des agriculteurs en faveur d’un revenu correct correspondant à leur compétence et à leur travail. Cependant, si les décisions du gouvernement vont soulager à court terme leur trésorerie, la question du revenu n’est pas résolue (prix minimum). Par ailleurs, il manque cruellement une vision politique de l’évolution nécessaire de l’agriculture vers l’agroécologie. Le gouvernement bricole et détourne l’attention des vrais enjeux en créant une opposition factice entre « écologistes » et agriculteurs, alors que leurs intérêts bien compris convergent. Comme l’exprimait le vice-président européen en charge du Green Deal face à l’effondrement de la biodiversité, la disparition des pollinisateurs, l‘appauvrissement des sols
« À long terme c’est une menace directe pour le monde agricole, c’est une menace existentielle sur notre capacité à produire de la nourriture ». Et c’est aussi une menace pour la santé…
– Plan Ecophyto : « Gabriel Attal ouvre la porte au détricotage du plan », titraient dans un communiqué 12 associations, dont le RES, pour dénoncer la remise en cause brutale de ce plan par le gouvernement, sur demande de la FNSEA, et la mise en place d’un nouvel indicateur trompeur qui montre une baisse factice des pesticides alors même que leur usage ne baisse pas[1]. Alors que les associations ont participé pendant des mois à la construction d’un nouveau plan.
Des centaines de scientifiques ont aussi exprimé leur effarement devant cette « mise au placard des connaissances scientifiques » (tribune dans le Monde, 8-02-24, et dans d’autres médias sur le même thème). 14 chercheurs sur 18 du Comité scientifique et technique d’Ecophyto ont fait part d’une « indignation largement partagée dans la communauté scientifique » et défendu l’indicateur existant qui peut être amélioré[2].
L’agence allemande de l’environnement critique également ce nouvel indicateur.
De multiples propositions ont été faites (INRAE, différents rapports, agriculteurs) pour sortir de l’échec des plans précédents : approche plus globale intégrant les transformateurs et les distributeurs, accompagnement et financement des agriculteurs pour passer le cap du changement… Cette remise en cause du plan Ecophyto ne bénéficiera qu’à une minorité de gros exploitants agricoles. Alors qu’une majorité s’efforce de réduire l’usage des pesticides, 9% des exploitations ont augmenté leur consommation de 55% en 10 ans. Ce sont celles qui se sont le plus agrandies, au détriment de l’installation de jeunes[3]. En maraîchage, les exploitations de plus de 3 salariés utilisent 7 fois plus de pesticides par hectare que les exploitations dites « familiales ».[4]
– Le RES, avec le collectif Nourrir[5], promeut un nouveau modèle agricole. Le projet de loi sur l’agriculture qui a été présenté n’est pas suffisamment ambitieux d’une part pour contrer la concentration des terres et la diminution du nombre d’agriculteurs actuellement observées, et d’autre part pour faciliter l’accès au foncier et favoriser les installations en agroécologie. Et le PSN (plan stratégique national), version française de la PAC doit être révisée rapidement pour des subventions mieux réparties et encourageant les bonnes pratiques.
Le gouvernement doit sortir du double langage vis-à vis de l‘agriculture biologique en difficulté, pour laquelle il a fortement réduit son soutien, et informer les consommateurs sur ses bénéfices, au lieu de les leurrer avec des labels qui sèment la confusion, comme le label HVE (Haute valeur environnementale).
PESTICIDES : UN ENJEU SANITAIRE MAJEUR POUR AGRICULTEURS, CONSOMMATEURS, RIVERAINS
- La santé des agriculteurs et des salariés agricoles (environ un million de personnes) : de multiples alertes sans résultat
Dès 2012, un rapport du Sénat avait évoqué une « urgence sanitaire pour les utilisateurs de pesticides »…
En 2018, La Commission nationale des alertes en santé publique et environnement se demandait « comment il était possible qu’avec autant de données disponibles dans la littérature on fasse si peu pour protéger la santé des travailleurs agricoles… » Le Monde, le 17-02-22, alertait sur le mythe de l’usage contrôlé de pesticides : « Depuis 15 ans un groupe de chercheurs alerte en vain les autorités sur l’inefficacité des équipements censés protéger la santé des agriculteurs. Les normes, co-écrites par les industriels, ignorent autant la réalité des pratiques du métier que les données scientifiques ».
L’IGAS évaluait en 2018 à environ 10 000 le nombre d‘agriculteurs touchés par la maladie de Parkinson du fait de leur exposition professionnelle, et à 2300 ceux présentant un lymphome non hodgkinien, maladie spécifiquement liée aux pesticides[6]. S’y ajoutent de nombreuses autres pathologies listées par la très rigoureuse expertise de l’INSERM de 2021, dont 6 avec une probabilité forte.
Risque peu connu : Les enfants des agriculteurs peuvent également être victimes de l’exposition de leurs parents, de la mère pendant la grossesse ou du père pendant les 6 mois précédant la naissance. Le CHU d’Amiens a ouvert une première consultation « Pesticides et pathologies pédiatriques ».
La FNSEA n’apporte guère de soutien aux victimes de pesticides dans leur difficile combat pour faire reconnaître leurs droits. En s’opposant à la réduction des pesticides, défendrait-elle plus la santé financière des industriels des phytosanitaires que la santé de ses agriculteurs ?
- La santé des consommateurs est aussi, dans une moindre mesure, mise en danger dans un contexte de très forte augmentation des maladies chroniques (notamment doublement de l’incidence des cancers en 30 ans)
L’idée est encore largement répandue dans les médias qu’il n’y a pas de preuves scientifiques sur l‘impact de pesticides sur la santé des consommateurs : les études BioNutriNet, menées sur une grande cohorte depuis 2017, sont effectivement très mal connues alors qu’elles apportent un niveau de preuve important : elles montrent chez les gros consommateurs d’alimentation biologique :
- Une diminution du risque d’obésité de 31%.
- Une diminution du risque de cancer de 25% en moyenne, mais jusqu’à -76% pour les lymphomes non hodgkiniens, cancers sur-représentés chez les agriculteurs exposés aux pesticides.
Elément complémentaire : les pesticides comme d’autres polluants peuvent perturber le microbiote intestinal, qui joue un rôle essentiel dans notre santé[7].
Les consommateurs sont théoriquement protégés par la norme LMR (limite maximale de résidus). Mais celle-ci ne tient pas compte des données scientifiques récentes comme l’effet cocktail, objectivé notamment par l’équipe Toxalim (INRA Toulouse) depuis 2009 : des mélanges de pesticides aux doses trouvées dans l’alimentation s’avèrent avoir un effet toxique alors que chacun est en dessous de la LMR. Ces mélanges peuvent notamment provoquer une obésité et un diabète chez la souris mâle (INRA-INSERM 2018).
La LMR ne tient pas compte non plus des perturbateurs endocriniens (PE), alors qu’une petite moitié des pesticides sont des PE. Or leurs effets très particuliers ne sont toujours pas pris en compte par la réglementation classique encore basée sur le paradigme « La dose fait le poison » : ils sont actifs à très faibles doses, et ont une action préférentielle chez le fœtus et le jeune enfant. Le risque ne peut donc être géré que par leur élimination. Agissant sur le système hormonal et donc sur la transmission des informations entre les organes, ils peuvent être à l’origine de pathologies multiples, apparaissant soit chez l’enfant, soit à l’âge adulte[8].
Or le Plan national nutrition santé nous recommande d’augmenter notre consommation de fruits et légumes, et donc celle de pesticides. Une étude récente de l’université de Harvard[9], sur une population importante, suggérait que l’exposition aux résidus de pesticides alimentaires pourrait annuler l’effet bénéfique de la consommation de fruits et légumes. De ce fait, seule la généralisation rapide d’une agriculture agroécologique à très faible niveau d’intrants ou encore mieux de l’agriculture biologique permettrait d’avoir une politique de santé publique cohérente et de protéger toute la population et notamment toutes les femmes enceintes : c’est une exigence de justice sociale.
Un autre argument en faveur de cette nécessaire évolution : le cadmium, métal PE et toxique à faible dose pour de multiples organes, apporté en grande partie par les phosphates des engrais minéraux (il est 2 fois moins présent dans l’alimentation biologique). Sa présence augmente dans nos organismes de façon inquiétante.
La pollution de l’eau est devenue très préoccupante avec l’amélioration des moyens de surveillance. En 2023, sur 20% des réseaux, l’ANSES dénombrait 7 molécules dépassant la limite de qualité de l’eau, ce qui entraîne des surcoûts importants de dépollution. Et cette limite ne tient même pas compte des effets à faibles doses des perturbateurs endocriniens….
- Concernant les riverains d’épandages :
La suppression des zones de non-traitement serait une véritable déclaration de guerre, car ces zones s’avèrent déjà très insuffisamment protectrices[10]. Des risques sont évoqués par certaines études : Maladie de Parkinson chez les adultes, et autisme des enfants à la suite de l’exposition des mères enceintes. L’étude Géocapagri évoque un lien entre la leucémie aigüe de l’enfant et la densité des vignes (qui sont parmi les cultures les plus traitées) à proximité.[11]
Le coût sanitaire et environnemental des pesticides est supérieur au gain économique de l’agriculture intensive :
Selon le bureau d’études Basic[12], le secteur des pesticides n’est viable que parce qu’il ne s’acquitte pas de ses coûts induits : “La profitabilité du secteur n’est rendue possible que par les subventions publiques et la prise en charge collective des conséquences négatives des pesticides”.
À qui profitent les pesticides ? Certainement pas à la majorité des agriculteurs et des salariés agricoles qui ont la double peine : un risque accru de maladies et un revenu insuffisant. Ils profitent à quatre multinationales qui se partagent 70% des bénéfices, à l’agro-industrie et aux grosses exploitations : en 2022, 10% des agriculteurs gagnent plus de 150 000 € par an (cotisations sociales non déduites)[13].
En conclusion, faut-il attendre que les pesticides deviennent « le prochain scandale de santé publique » selon un ancien directeur d’ARS ?[14] Le fossé se creuse entre les politiques mises en place et les multiples données scientifiques, qui sont unanimes à plaider pour la suppression ou quasi-suppression des pesticides et à démontrer sa faisabilité. La population souhaite à 88 % une sortie des pesticides (sondage IPSOS) et une majorité d’agriculteurs y seraient prêts, si les conditions sont réunies pour qu’ils en sortent gagnants.
L’agro écologie est un ensemble de techniques de pointes existantes permettant à l’agriculteur de se passer de pesticides de synthèse et d’engrais chimiques tout en maintenant une production aussi importante et procurant à l’agriculteur de biens meilleures marges (et cela passe par une réforme de l’enseignement, pour les agriculteurs ainsi que pour les ingénieurs agronomes.
CONTACT PRESSE :
Ouissem LARRI 07 85 37 94 80ouissem.larri@reseau-environnement-sante.fr
[1] Voir aussi plusieurs communiqués sur https://www.generations-futures.fr/actualités .
[2] The conversation. 21-O2-24
[3] Réduction des pesticides en France : pourquoi un tel échec ? 9-02-201 : http://www.fnh.org/agriculture-sans-pesticides/
[4] Basic : Aides publiques liées au salariat agricole, 5-07-2023
[5] http://collectifnourrir.fr
[6] Citée par le Monde 28-10-2020 : Les agriculteurs surexposés à certains cancers
[7] Roundup : étude citée par le Monde du 3-02-2021. Etudes du laboratoire PériTox : M. Abou Diwan and al, The conversation, 15-01-24
[8] Infertilité, maladies métaboliques, cancers hormonaux, asthme. Troubles du neurodéveloppement et anomalies sexuelles chez l’enfant
[9] Sandoval et al, Env. International 159 (2022). Citée par le Monde 25-05-2022
[10] https://www.generations-futures.fr/actualites/pesticides-air-riverains/
[11] Coste A. and al, Envir Res, 15-04-2020. Stéphanie Goujon and al, INSERM, revue EHP, 18-10-2023
[12] Basic : Analyse de la création de valeur et des coûts cachés des pesticides de synthèse, 25-11 21 : le coût minimal est estimé à 2,3 Md d’€
[13] Statistiques du ministère de l’Agriculture, citées par T. Piketty, Le Monde 11-02-2024
[14] Cité par le Monde, 23-09-22.