Après avoir conclu que les deux études mettant en cause l’innocuité de l’aspartame ne justifiaient pas une révision des évaluations précédentes de l’aspartame, l’ANSES et l’EFSA revoient leurs positions. Un groupe de travail va être mis en place afin d’évaluer les bénéfices et les risques nutritionnels des édulcorants intenses et la nécessité éventuelle d’élaborer des recommandations. Le Dr Laurent Chevallier du Réseau Environnement Santé (RES) ,qui a été étendu lors d’une audition publique au parlement européen, s’interroge.
« ÉDULCORANTS artificiels : Faut-il avoir peur de l’aspartame ? » Tel est le thème de l’audition publique organisée au Parlement européen le 16 mars dernier par Corinne Lepage et Antonyia Parvanona. Les deux eurodéputées de l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ADLE) entendaient ainsi lancer le débat au niveau européen en donnant la parole aux scientifiques auteurs des études qui ont récemment suscité les doutes sur l’innocuité de l’aspartame, les Drs Morando Soffritti (Italie) et Thorhallur Halldorsson (Danemark), aux représentants de l’agence sanitaire européenne (EFSA ou European food safety authority), aux industriels des édulcorants et de l’agroalimentaire mais aussi aux lanceurs d’alerte comme ceux du RES.
La position des industriels au cours des débats a été claire : ils s’appuient sur les évaluations successives réalisées par les autorités sanitaires européennes qui, jusqu’ici, ont conclu que l’aspartame est sûr pour la consommation humaine.« L’aspartame a été autorisé en 1994. Depuis, il a été réévalué et son autorisation a été maintenue en 2002, 2006 et 2009 », a souligné par exemple le représentant de la CIAA (Confédération of the food and drink industries of the EU). Le Pr A. G. Renwick, représentant de l’Association internationale des industriels des édulcorants a précisé pour sa part que « parmi tous les additifs alimentaires, l’aspartame est celui qui a été le plus étudié chez l’homme », insistant sur le dernier avis de l’agence européenne : « L’EFSA a conclu qu’il n’y avait aucune raison de remettre en cause les précédentes évaluations ».
Nouvelles positions des agences.
L’EFSA pour sa part, avait, en première partie des débats, confirmé les conclusions de son avis du 28 mars dernier, de même que celui du 15 mars de l’ANSES, l’agence française avec laquelle elle a étroitement collaboré pour l’examen des études du Dr Soffritti et du Dr Halldorsson. Toutefois, Hugues Kenigswald, chef d’unité du groupe scientifique sur les additifs alimentaires et les sources de nutriments ajoutés aux aliments (groupe ANS de l’EFSA) avait aussi indiqué que son groupe allait mener des investigations complémentaires, qui devraient aboutir à un nouvel avis d’ici la fin de l’année 2011, portant en particulier sur le rôle du méthanol, un métabolite de l’aspartame, suggéré par l’étude hollandaise. L’agence européenne promet par ailleurs de rencontrer les auteurs de l’étude italienne « afin de discuter de la conception de l’étude et de ses résultats ».
Cette évolution de l’EFSA rejoint celle l’ANSES, qui, la veille de l’audition publique, a publié un nouvel avis dans lequel elle souligne que « les nouvelles publications n’apportent pas de base scientifique suffisante pour une réévaluation de l’aspartame au plan toxicologique » mais affirme vouloir « élargir son travail » et « mettre en place un groupe de travail chargé d’évaluer les bénéfices et les risques nutritionnels des édulcorants intenses et la nécessité éventuelle d’élaborer des recommandations pour des populations sensibles, parmi lesquelles les femmes enceintes ».
S’il salue ces nouvelles positions des agences, le Dr Laurent Chevallier s’étonne. « Je trouve l’attitude des agences extrêmement surprenante sur le plan scientifique. Elles reconnaissent implicitement qu’il existe un doute sur l’innocuité de l’aspartame. Ce doute doit profiter aux populations et non aux industriels. Des recommandations doivent être prises immédiatement pour les femmes enceintes et les jeunes enfants », explique-t-il au « Quotidien ». Il interroge encore :« Pourquoi a-t-il fallu attendre que le Réseau environnement santé mette les résultats de ces deux études sur la place publique pour que les agences réagissent ? ».
Lors du débat européen, il a exprimé ses doutes et ceux du réseau qu’il représente. « S’il existe des centaines d’études sur l’aspartame, les autorités sanitaires se sont basées sur 3 études de cancérogenèse pour définir la dose journalière admissible (DJA) », a-t-il indiqué. Or cette dose est régulièrement maintenue, justifiant la pertinence des études. « Il est stupéfiant, a-t-il encore relevé, que l’EFSA ne remette pas en cause la DJA fondée sur deux études de 1973 et 1974 qui n’ont jamais été publiées dans une revue scientifique et n’ont donc pas été soumises à un comité de lecture, ce qui leur confère une faible valeur scientifique. » Quant à la méthodologie utilisée, « elle n’a pu intégrer les bonnes pratiques de laboratoires puisqu’ils n’étaient pas encore définis et que ceux-ci l’ont été justement à la suite de la mise en évidence de fraudes dans les études menées par plusieurs laboratoires travaillant dans l’industrie chimique », a-t-il poursuivi. Les deux études de 2010 qui ont, l’une mis en évidence une augmentation des cancers chez les souris, et l’autre, une association statistique entre la consommation de boissons gazeuses contenant des édulcorants et l’augmentation du risque d’accouchement prématuré, ont été toutes les deux publiées dans des revues sérieuses.
Craintes chez les femmes enceintes.
Le Dr Chevallier demande la publication des études de 1973 et de 1974, que ces études soient évaluées avec la même grille d’analyse que les études récentes et qu’une nouvelle évaluation de la DJA soit réalisée. Mais c’est en tant que praticien qu’il entend aussi se placer. L’étude de Halldorsson indique que la consommation de boissons sucrées ne déclenche pas de risque d’accouchement provoqué médicalement, contrairement aux boissons light et surtout aux boissons gazeuses light plus concentrées en édulcorants. Il y a certes l’effet dose, un des critères de Bradforf-Hill utilisé par les épidémiologistes pour déterminer s’il existe ou non une relation de causalité mais il y a surtout le fait clinique. Consommer régulièrement des sodas light pendant la grossesse peut induire « de telles perturbations des marqueurs de surveillance fœtaux que les médecins ont été amenés à déclencher les accouchements prématurément (sans savoir bien entendu si la mère avait consommé ou non des boissons édulcorées) », a fait observer le Dr Chevallier. Au parlement européen, il a précisé : « Je vous rappelle qu’un obstétricien prend la décision de déclencher un accouchement prématuré principalement en cas d’anomalie du Doppler fœtal, d’arrêt de croissance de l’embryon in utero et de modification du rythme cardiaque ».
Il confie au « Quotidien » avoir eu des témoignages de confrères inquiets lui expliquant : « Il faut vraiment qu’on sache, car nous les diabètes gestationnels, nous leur conseillons de prendre de l’aspartame. »
Pour cette substance qu’il juge inutile, rejetant l’argument, parfois avancé, d’une « utilité sociale » – « dans le cas du tabac, la question ne se pose pas » -, et dont l’interaction avec les médicaments, notamment les antidiabétiques, n’a jamais été étudiée, il demande que des mesures rapides soient prises et appelle les industriels à agir dans ce sens avant même toute contrainte réglementaire, comme ont pu le faire certains dans le cas du bisphénol A, un autre des combats du RES.
› Dr LYDIA ARCHIMÈDE
Source : Le Quotidien du Médecin du 21/03/2011