Le Geneva Health Forum s’est tenu à Genève du 3 au 5 mai 2022 pour adresser des questions cruciales pour notre santé telles que la pollution, le changement climatique, comment opérationnaliser des concepts tels que “Une seule santé” et “santé planétaire”. Le RES a été invité pour intervenir aux cotés de 4 ONGs, dont l’Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer et le Collectif Coll’Air Pur Santé de la vallée de l’Arve lors de la session « Rien ne se fera sans les communautés : le rôle des ONG dans le renforcement de la santé environnementale » organisée avec le soutien du Geneva Environment Network.
Résumé
Diana Rizzolio | Coordinatrice, Geneva Environment Network
Comme ne cesse de le répéter le secrétaire général des Nations Unies et mes collègues, notre planète fait face à une triple crise du dérèglement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution. Toutes ces crises ont un impact sur notre santé. Bien que les preuves scientifiques s’accumulent et qu’une prise de conscience émerge dans la société, les nécessaires changements tardent à se mettre en place.
Les panels tels que le GIEC – Groupe International d’Experts sur le Climat (dont le siège est à Genève), mais aussi l’IPBES pour la biodiversité ont une importance capitale dans ce contexte. En outre, l’Assemblée pour l’Environnement des Nations Unies a récemment pris la décision de mettre aussi en place un panel d’expertise scientifique pour les questions liées au produits chimique, les déchets et la pollution.
Des experts nous donnent donc des preuves scientifiques des crises environnementales auxquelles nous faisons face, avec des scénarios sur ce qui nous attend. Mais la mise en place de mesures de gouvernance pour éviter ou palier à ces crises est souvent lente, comme on le voit dans le domaine du climat pour lequel le GIEC existe depuis plus de 30 ans.
Les membres du panel aujourd’hui sont des sortes de héros qui mobilisent leurs communautés pour faire en sorte que des actions soient prisent par les autorités pour que prévenir ces crises qui ont des impacts important sur notre santé. Nous sommes donc dans l’action environnementale, parce que les atteintes à notre environnement ont des impacts inacceptables sur notre santé. Nous avons des communautés qui se mobilisent pour que les autorités agissent et développent des réglementations essentielles.
André Cicolella | Cofondateur et Président, Réseau Environnement Santé
Le Réseau Environment Santé (RES) a été créé il y a une quinzaine d’année pour promouvoir la santé environnementale. Sa première campagne en 2009 visait l’interdiction des biberons au Bisphénol A, un exemple qui démontre la nécessité de l’urgence d’une politique en matière de santé environnementale. Le Bispénol A est un perturbateur endocrinien, c’est-à-dire une substance chimique qui agit sur l’équilibre hormonal engendrant ainsi des risques de santé accrus. Cette campagne rencontre un franc succès avec l’interdiction de la commercialisation de ces biberons par le Sénat français en mars 2010, puis pas l’Union Européenne en novembre de la même année.
L’exposition aux perturbateurs endocriniens pendant la période fœtale est déterminante pour la santé de l’enfant, et donc des générations futures. Un changement de paradigme des perturbateurs endocriniens est donc essentiel ; il y a urgence. C’est dans cette perspective que nous avons réussi à obtenir un vote unanime des députés et sénateurs français pour interdire le Bisphénol A également dans les contenants alimentaires. Cette expérience montre qu’il est tout à fait possible de convaincre les décideurs politique.
Le RSE conduit par la suite plusieurs autres campagnes :
- L’interdiction du perchloréthylène dans les pressings en France. Le perchloréthylène est une substance toxique perturbateur endocrinien, dont les effets néfastes sur les travailleurs, les populations riveraines et l’environnement sont prouvés. Cette substance sera interdite en France dès 2023, et remplacée par des processus à base d’eau.
- La Stratégie Nationale Perturbateurs Endocriniens, adoptée en 2014 et marquant une reconnaissance du changement de paradigme en la matière avec l’objectif de réduire l’exposition de la population. Cette stratégie est importante, car on ne peut pas le problème ne peut être résolu en s’occupant d’une substance chimique à la fois.
- Charte d’engagement des Villes et Territoires sans Perturbateurs Endocriniens, une campagne visant à protéger la population and les écosystèmes de l’exposition à ces substances toxiques. Cette charte vise l’élimination des perturbateurs endocriniens dans les pesticides et l’alimentation, ainsi que dans tous les contrats et achats publics, et favorise une communication transparente auprès des collectivités. Le signal que le RSE avait lancé en 2009 s’est élargi et on a maintenant une décision politique forte, notamment au Parlement européen, qui vise l’élimination de 2000 substances toxiques d’ici 2030.
- Opération zéro phtalates, une substance trouvée communément dans les plastiques, les cosmétiques et l’alimentation ultra-transformée. L’exposition aux phtalates pendant la grossesse augmente les risques de maladies infantiles. Ce projet vise à rendre visible cette pollution invisible.
- Appel de Grenoble pour un « GIEC » de la santé environnementale ; lancé par le Collectif InterAssociatif pour la Santé Environnementale. On a besoin de faire la synthèse des connaissances scientifiques pour éclairer la décision politique. Si on veut s’attaquer à la crise sanitaire dans laquelle nous sommes et aux risques de crise sanitaire à venir, il faut une vision d’ensemble.
Philippe Chamaret | Directeur, Institut écocitoyen
Fos-sur-Mer est une ville industrielle française qui héberge une zone industrielle et portuaire de 10’000 hectares, l’une des plus grandes d’Europe. Fos héberge des industries lourdes, qui sont fortement émettrices et diverses (raffinage, sidérurgie, logistique et transport, déchets, et stockage de l’énergie). L’ensemble de ces émissions de polluants provoquent une exposition des population riveraines à des substances toxiques et diversifiées, et ce de façon intense. Il s’agit d’un mélange de polluants dont on ne connaît pas l’effet précis sur la santé.
Lors de la construction et dans les années 1970, aucun soulèvement de la population ne s’est produit. En effet, l’ensemble de la population travaillait ou était dépendante des industries. Mais dans les années 1980 et 1990, des départs en retraire massifs et une période de chômage a fait émerger une population qui connaissait l’industrie mais n’y travaillait plus.
A cette période, la ville de Marseille a décidé d’installer son incinérateur à déchets à Fos, un événement qui a cristallisé la mobilisation des citoyens. Les gens se sont enfin posé la question des effets de l’activité industrielle sur la santé, pour découvrir avec surprise qu’on ne savait pas. La connaissance s’arrêtait au strict nécessaire pour suivre les limites réglementaires, et ne permettait donc pas d’évaluer réellement les risques sur la santé.
En effet, entre les limites réglementaires et la réalité du territoire, c’est-à-dire les effets de polluants sur la population, il y a une différence énorme. Cet écart a fait que les autorités n’ont pas pu répondre aux aux questions de la population qui s’est alors soulevée contre la construction de l’incinérateur. Les autorités ont répondu en développant une politique scientifique de territoire, dont le principe est de développer la connaissance pour soutenir la décision. L’Institut écocitoyen vise à faire le lien entre les connaissances scientifiques précise et les décisions qui vont être prises après. Il suit trois principes fondamentaux :
- Etudier tous les milieux dans une même recherche (sol, air, systèmes marins, santé, etc). Ceci permet d’aller au-delà des silos disciplinaires existants dans la recherche.
- Lier systématiquement environnement et santé
- Impliquer les citoyens dans le développement de la connaissance
Mallory Guyon | Porte-parole, Collectif Coll’Air Pur Santé de la vallée de l’Arve
Mallory Guyon est médecin généraliste et de la petite enfance. Elle a décidé de s’engager dans le domaine de la santé environnementale après avoir été confrontée à un paradoxe : la population suffoque dans les montagnes, au pays du Mont-Blanc. La pollution de l’air était un sujet tabou dans la Vallée de l’Arve, car cela dérange le tourisme et l’économie locale.
Pourtant, la pollution est réelle et visible toute l’année, dû au trafic portier, au trafic international des camions, usines de décolletage, les incinérateurs, une usine de graphite carbone, le problème du chauffage au bois l’hiver et une haute densité de population. Passy est la commune la plus polluée de France. Après que son enfant de 6 mois ait été malade d’une bronchiolite pendant 18 mois, Mallory Guyon a compris que l’air était pollué. Un médecin de la région lança l’alterte et des manifestations citoyennes ont été organisées. En 2017, l’étude EQIS en 2017 rapporta 85 morts prématurés liées à la pollution de l’air dans la Vallée de l’Arve.
Le collectif citoyen Coll’Air Pur Santé se mobilise pour alterne la population et faire avance les politiques sur le sujet. Le collectif s’est fait connaître grâce aux médias locaux, qui ont publié leur étude environnementale autofinancée sur la quantité de métaux lourds anormale dans l’air. Le but était de de pousser les élus locaux à agir pour retrouver un air respirable, le bonheur de nos montagnes et la santé de tous. Le collectif a réalisé plusieurs analyses environnementales, toutes avec des résultats effrayants, et à interpeller la préfecture. Il a aussi lancé des procédures judiciaires avec 540 plaintes contre X et plus d’une douzaine de dossiers médicaux. Dans l’une d’elle, l’Etat a été reconnu fautif, mais n’a pas été condamné.
Le collectif organise également des marches pour l’air et le climat et est très actif sur les réseaux sociaux et dans les médias locaux. D’autres actions ont lieu pour montrer l’exemple et motiver la population, afin de faire suivre la politique. Le collectif a tissé des liens avec l’Association Locale pour la Qualité de Vie à Passy et a également créé un collectif médical départemental, le Collectif Environnement 74. Ce dernier vise à former les professionnels de santé, éduquer la population et pousser les politiciens du département à prendre des actions fortes pour la santé et l’environnement. Au niveau national, le collectif est engagé avec d’autres associations afin de vulgariser la science et d’organiser des actions nationales. Il participe notamment à l’appel de Grenoble pour un GIEC de la santé environnementale. Enfin, il vise à créer l’Institut écocitoyen du Mont Blanc, afin de soutenir la recherche et mobiliser les élus.
« La mobilisation écocitoyenneté doit être forte. Nous sommes tous des héros ; vous pouvez changer le monde, la santé et l’environnement. Il faut juste se lancer. En quatre ans, nous avons pu faire que la pollution de l’air ne soit plus un tabou. Maintenant on peut en parler et poser des questions. Tout le monde est engagé car c’est urgence sanitaire pour nos enfants et nos montagnes. C’est grâce aux citoyens et à leur pression qu’on pourra changer les décisions politiques pour avoir un air respirable et une bonne santé pour tous. »