La Ligue contre l’obésité a voulu savoir quel regard le Réseau Environnement Santé portait sur l’obésité à travers la crise du Covid-19. Interview de André Cicolella.
Plus de trois mois après le début de la crise sanitaire en France, quel regard portez-vous sur cette période douloureusement marquée par le Covid-19 ?
Cettsur le site e crise sert de révélateur. Elle nous rappelle que la politique de santé ne doit pas être marginale mais au contraire centrale dans le champ politique. Mais on peut craindre que les vieilles habitudes, c’est-à-dire la santé politique marginale et variable d’ajustement, ne reprennent le dessus, maintenant que l’on est dans la phase du déconfinement.
En France comme à l’international, de multiples études mettent en évidence l’âge et l’obésité comme facteurs de risque élevé de contracter une forme grave de l’infection. En quoi ces populations sont-elles plus vulnérables ?
Toutes les études convergent pour faire le constat que les victimes du Covid sont les malades chroniques, en priorité l’obésité, le diabète, l’hypertension et les maladies cardiovasculaires. C’est effectivement en lien avec l’âge mais comme le rappelle un article publié par une équipe du NHS britannique « Quoique les taux de mortalité soient élevés chez les plus âgés, la plupart des patients ont été admis à l’hôpital avec des symptômes spécifiques du Covid et ne seraient pas morts autrement ». Le taux de comorbidité est également élevé chez les personnes touchées par le Covid y compris dans les tranches d’âge plus jeunes.
Dans l’interview que vous avez accordé au magazine Basta !, vous dites que si l’épidémie de Covid-19 avait eu lieu en 2003, elle aurait fait nettement moins de victimes. Pourquoi ?
La comorbidité selon Santé Publique France est de 84 %, principalement pour obésité, hypertension, diabète, maladies cardiovasculaires. L’obésité sur la période a presque doublé. Le diabète est passé sur la même période de 1,3 à 2,7 millions. Pour les quatre maladies cardiovasculaires (AVC, artériopathie, Insuffisance cardiaque, Maladie coronarienne) leur nombre a doublé entre 2003 et 2017, passant de 1,7 million à 3,4 millions Dans tous les cas, ce n’est pas un simple effet de l’augmentation de la population due au vieillissement, puisque sur cette période les plus de 74 ans n’ont augmenté que de 30 % et les 60-74 ans de 37 %. On pourrait ajouter l’hypertension (le dernier chiffre en 2010 était de 1,2 million), mais son classement en Affection de longue durée (ALD) a été supprimé en 2011 et on ne dispose plus des chiffres réels pour 2017. Ce bilan doit faire l’objet d’une étude spécifique, car c’est ce qui permettrait de faire comprendre la nécessité d’arrêter cette épidémie de maladies chroniques, mais on peut retenir en première approximation un ordre de grandeur de moitié moins de victimes.
Dans vos propos, vous insistez sur l’importance de mettre la santé environnementale au centre des changements de la politique de santé. Que faut-il comprendre ?
Nous avons un système de santé qui est avant tout un système de soin. Il s’intéresse à la maladie quand elle survient et on s’intéresse peu à ce qui se passe en amont. Les maladies ne sont pas purement génétiques. Elles sont très largement la conséquence de l’environnement. Il faut comprendre évidemment l’environnement de façon globale, alimentation, sédentarité, pollutions, mais aussi la ville et l’environnement socio-économique.
Par méconnaissance, l’obésité est trop souvent ramenée à l’équation simpliste « alimentation/activité physique ». Pourquoi un tel raccourci selon vous ?
C’est effectivement une vision simpliste, qui renvoie la responsabilité entièrement à l’individu. Alimentation/activité physique sont effectivement des facteurs importants, mais curieusement un grand facteur clairement identifié comme les perturbateurs endocriniens n’est pas ou peu pris en compte. L’OCDE est capable de faire en 2019 un rapport sur l’obésité sans les mentionner. Pourtant les conférences de consensus tenues en 2015 à Parme et en 2016 à Uppsala, concluent au rôle prédominant de ce facteur. Or, ces substances chimiques que l’on baptise plus spécifiquement d’obésogènes comme le bisphénol A ou les phtalates, contaminent toute la population et induisent des effets transgénérationnels. La contamination maternelle pendant la grossesse se traduit par un effet obésogène chez l’enfant. Ceci est démontré par l’expérimentation animale mais aussi chez l’humain par les études épidémiologiques.
Après la pandémie du Covid-19, pensez-vous que l’obésité doit être reconnue comme une maladie à part entière à traiter indépendamment des comorbidités ?
Evidemment. C’est une cause, mais c’est aussi une conséquence. Même chose pour l’hypertension. Il devrait y avoir une ALD obésité et l’ALD Hypertension devrait être rétablie.
Parmi les causes reconnues de l’obésité, un certain nombre sont liées au développement actuel de notre société. Quel rôle jouent, selon vous, les perturbateurs endocriniens ?
Il y a un effet multifactoriel. L’alimentation est mise en cause, mais les données scientifiques actuelles, comme celles issue de la grande étude française Nutrinet mettent l’accent sur l’alimentation ultra-transformée. Or cette « malbouffe » est un vecteur de perturbateurs endocriniens, comme le bisphénol A, les phtalates ou certains pesticides. Les perturbateurs endocriniens viennent le plus souvent des matières plastiques (le polycarbonate par exemple pour le bisphénol A), les phtalates sont les plastifiants et on les retrouve dans les aliments qui ont été en contact avec ces plastiques.
En qualité de président du Réseau Santé Environnement, quelle approche avez-vous de l’obésité ?
C’est une question majeure. Elle révèle la crise sanitaire et l’indigence de la réponse en termes de politique publique. Comme pour les autres maladies chroniques, « La Maison brûle et on regarde ailleurs » comme disait Jacques Chirac à la conférence sur le climat de Johannesburg en 2002… Elle fait partie intégrante du groupe des grandes maladies chroniques environnementales. Il faut cesser de la considérer comme un problème purement individuel.
Bien que considérée comme maladie chronique depuis 1997 par l’Organisation mondiale de la santé, en France, l’obésité n’entre pas dans le champ des Affections de longue durée. La crise du Covid-19 pourrait-elle changer la donne ?
L’enjeu aujourd’hui est de se préparer pour la prochaine crise. Les maladies infectieuses émergentes se développent. Elles peuvent rester localisées mais des mutations peuvent intervenir. On le voit bien pour ce virus. Si on ne stoppe pas l’épidémie mondiale de maladies chroniques dont l’obésité, la prochaine épidémie infectieuse peut être encore plus violente en termes de maladies et de morts mais aussi de conséquences économiques. Il est urgent de faire reculer cette épidémie.
Des études réalisées en Grande-Bretagne et aux États-Unis montrent que le Covid frappe de façon différenciée selon le statut social et l’appartenance ethnique. Comment l’expliquez-vous ?
En France, les statistiques ethniques sont interdites au nom du principe de l’égalité des citoyens, mais cela a pour conséquence de masquer les disparités qui ne sont pas évidemment une question de « race » mais une question sociale. Le département de Seine Saint-Denis, a eu un taux de surmortalité le plus élevé de France, alors que c’est un département jeune. Une partie de l’explication vient du fait que ceux que l’on appelle « les travailleurs clés », ces « invisibles » qui ont continué de travailler et de fournir des services essentiels à la société sont pour une grande part des habitants des villes de banlieue comme celles de la Seine-Saint-Denis dont l’origine provient des anciennes colonies. Leurs conditions de vie et de travail les ont plus exposés. Il faudra là-aussi faire un bilan de l’épidémie sous cet angle.
En septembre 2018, l’assemblée générale de l’ONU s’est engagée à réduire la mortalité par maladies chroniques de 30 % d’ici 2030, et à arrêter la progression de l’obésité. Où en est-on ?
Le constat de l’épidémie de maladies chroniques a été fait par l’OMS dès 2006 en Europe, 2008 dans le monde et l’Assemblée générale de l’ONU a adopté 2 résolutions en 2011 et 2018. Des objectifs ont été fixés : d’ici 2030, diminution de 30 % de la mortalité avant 70 ans par maladies chroniques et arrêt de la progression de l’obésité et du diabète. Tous les pays, dont la France, ont signé, mais dans les faits, rien ne se fait à la hauteur de l’enjeu et la progression continue.
Quelles sont les mesures prioritaires de santé environnementales que le gouvernement français devrait prendre après la pandémie ?
Il faut développer un grand mouvement de société sur la lutte contre l’épidémie mondiale de maladies chroniques. Le Réseau Environnement Santé demande qu’un grand débat national ait lieu pour exprimer les attentes de la population en ce domaine et pour prendre la mesure du problème. Nous proposons de tenir des forums ouverts de la Santé Environnementale pour qu’émerge la prise de conscience que la solution à cette crise sanitaire oblige à changer de modèle de santé. C’est bien de soigner les gens quand ils sont malades mais c’est tout aussi important qu’ils soient le moins malades possible. Non, l’obésité, comme le cancer ou le diabète n’est pas une fatalité. Ce grand débat national doit déboucher sur des Etats Généraux de la Santé Environnementale pour traduire ce mouvement en changements institutionnels. C’est un changement de même ampleur que celui qui a conduit à la création de la Sécurité Sociale en 1945. Pour affronter la crise écologique dont la crise sanitaire est une composante, il faut refonder notre système de santé et ses institutions.