Le RES Poitou-Charentes et les Perturbateurs Endocriniens
Retour sur la conférence sur les PE organisée le 20 janvier 2017 par le RES Poitou-Charentes avec le soutien de l’ARS Nouvelle-Aquitaine
Cette conférence s’est déroulée au sein du site de Poitiers de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, avec d’ailleurs son aide logistique, en présence de près de 110 personnes.
Le programme dense et traité sur une demi-journée par de riches interventions entrecoupées d’échanges avec la salle, était conçu en 3 ‘blocs’. Le premier d’entre eux cadrait le sujet de la santé environnementale par deux points de vue, l’un institutionnel en région (ARS) et l’autre citoyen, sur la crise sanitaire en général (RES). Le second bloc était relatif à la situation de la recherche en santé environnementale en région (Inserm-Poitiers). Enfin, le troisième bloc présentait des exemples de mobilisation citoyenne régionale dans ce domaine.
En introduction, Serge ROBERT, délégué régional ‘Poitou-Charentes’ du RES, après les remerciements d’usage, souligne que les données de l’Assurance Maladie montrent que les 5 pathologies les plus importantes répertoriées en Nouvelle-Aquitaine sont : les insuffisances cardiaques graves et les cardiopathies (ALD 5) ; les diabètes 1 et 2 (ALD 8) ; les maladies coronariennes (ALD 13) ; les affections psychiatriques (ALD 23) ; les cancers, notamment sanguins (ALD 30). Par ailleurs, hors ALD, l’infertilité masculine est également préoccupante. Il est prouvé par la littérature scientifique que les indicateurs classiques (alcool, tabac, sédentarité, vieillesse…) sont insuffisants pour expliquer, comme pour une grande partie des maladies chroniques, les variations temporelles et territoriales de ces pathologies dominantes en Nouvelle-Aquitaine.
Enfin, il termine en affirmant qu’il est ainsi fondamental de changer de paradigme et de prendre en compte sérieusement le facteur environnemental pour expliquer la crise sanitaire croissante due à l’explosion des maladies chroniques. D’ailleurs, plus que jamais, il est nécessaire d’éliminer de notre environnement les perturbateurs endocriniens.
Première partie
Ensuite, Jean JAOUEN, Directeur de la Santé Publique à l’ARS Nouvelle-Aquitaine, est intervenu sur « Les missions de l’ARS en Santé-Environnement : éléments de stratégie en Nouvelle-Aquitaine » en soulignant qu’en France généralement on faisait plutôt référence (PNSE) au milieu de vie et à la contamination des différents milieux, tout en écartant a priori les risques issus des comportements individuels. Par ailleurs, il a mis en avant la spécificité des risques environnementaux et présenté les missions des ARS en matière de santé environnementale, ainsi que les différents ‘champs’ abordés. à travers deux grands axes : la surveillance des milieux et la gestion des risques sanitaires ; la prévention et la promotion de la santé.
Enfin, il a présenté les enjeux des PRSE3, déclinaison du PNSE3 qui, allant plus loin que le PNSE2 (axé essentiellement sur la réduction des pollutions), sont axés sur 4 thématiques : (i) les pathologies en lien avec l’environnement ; (ii) la connaissance et les leviers d’action sur les expositions ; (iii) la recherche ; (enfin (iv) les actions territoriales, l’information, la communication et la formation. Ainsi, par rapport aux PRSE2, les PRSE3 intègrent de nouveaux éléments, comme la consolidation de la place des risques émergents et des risques à fortes incertitudes, la prise en compte de l’exposome, l’intégration de nouvelles thématiques (alimentation, biodiversité et changement climatique), la forte attente de territorialisation via les PRSE3 mobilisant l’ensemble des politiques publiques, avec les collectivités, etc. Quant au PRSE3 Nouvelle-Aquitaine, M. JAOUEN a présenté son élaboration commençante, d’abord en soulignant le retour d’expérience faite du PRSE2 (synthèse du bilan des PRSE2 des 3 ex-régions : Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes), puis a décliné les 12 thématiques retenues de ce nouveau PRSE3 Nouvelle-Aquitaine.
Quant à André CICOLELLA (toxicologue et président du RES), clôturant ainsi ce premier bloc d’interventions, a présenté « Les enjeux de la santé environnementale : la santé environnementale comme réponse à la crise sanitaire ». Dans son exposé, il a mis en avant d’abord que cette question est à l’agenda des conférences ministérielles sur l’environnement et la santé depuis 1989, ceci du fait de l’Initiative conjointe de l’OMS Europe et de l’Union Européenne (avec des moments forts en 1994 et 2007), ce qui aboutit en France aux 3 PNSE depuis 2004. Mais, la Santé environnementale est une histoire ancienne (depuis Hippocrate !) et elle constitue en fait un « défi mondial d’ampleur endémique ». Déjà en 2006, l’OMS dans son ‘Guide pratique pour une sensibilisation réussie’ titrait « Halte à l’épidémie mondiale des maladies chroniques ». Elle a donné suite à d’autres déclarations, notamment au sein de l’OMS, par Margaret CHAN en 2010, puis par l’ONU en 2011. Le rapport Maladies Chroniques (ou Non Transmissibles) /Maladies Infectieuses était en pourcentage de 60-40 en 2005, il l’est de 70-30 en 2015 et le sera fort probablement de 88-12en 2030. D’autres données scientifiques ont été présentées par l’orateur, montrant d’ailleurs au passage que si les données de mortalité sont accessibles et couramment présentées, il en est pas de même pour les données de morbidité qui de plus sont souvent ignorées, alors qu’il s’agit d’un indicateur précieux, correspondant au rapport qui mesure l’incidence et la prévalence d’une certaine maladie. Ainsi, les Maladies Infectieuses avaient une charge de morbidité (DALY) de 47% en 1990 et de 35% en 2010, tandis que pour les mêmes années de référence, les Maladies Non Transmissibles avaient un DALY respectivement de 43% et 54%.
En outre, en étudiant les variations de la prévalence de certaines pathologies chroniques sur 10 ans à partir des données Ameli (Assurance Maladie), il est clair que ces dernières explosent littéralement en France (+13% dans la période 2003-2013, ce qui ne peut s’expliquer que par le vieillissement ou par les comportements individuels (interagissant d’ailleurs). À cet égard, différents exemples l’attestent qui permettent de plus la comparaison de régions entre elles ou encore de pays entre eux.
Il est donc clair, pour André CICOLELLA et le Réseau Environnement Santé, qu’il faut changer de paradigme scientifique, en prenant compte le nouveau concept d’exposome et celui de DOHaD (au niveau de la vie fœtale), l’importance de la perturbation endocrinienne notamment (mais pas seulement) dans le système thyroïdien, qui de plus est en relation avec les autres systèmes régulateurs que sont le système nerveux et le système immunitaire. Ceci implique un changement de paradigme vis-à-vis de la perturbation endocrinienne, concept devenu majeur, dont les 5 éléments ont été établis par Théo COLBORN en 2009. C’est à partir de cette nouvelle approche que peuvent s’expliquer les cancers hormono-dépendants, les malformations génitales, les diabètes, les maladies neurocomportementales, etc.
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Seconde partie
Ensuite, le second bloc interventionnel était consacré à la recherche en Nouvelle-Aquitaine sur les Perturbateurs Endocriniens. Virginie MIGEOT, médecin en santé publique, professeure et responsable de l’axe « Santé Environnementale, Perturbateurs Endocriniens, Exposome » de la structure Inserm CIC 1402 à l’université de Poitiers a donc exposé « La situation de la recherche en santé environnementale en Nouvelle-Aquitaine » en indiquant d’abord que deux laboratoires importants sont à signaler sur cette thématique, l’un sur Bordeaux (EPICÈNE, dont Isabelle BALDI est l’animatrice principale) et l’autre sur Poitiers (HEDEX, dont Virginie MIGEOT est responsable). Deux autres sites universitaires, de moindre importance vis-à-vis de cette thématique ‘Santé-Environnement, sont également à signaler (La Rochelle, Limoges).
Concernant le laboratoire EPICÈNE, qui est composé de 16 chercheurs, il est centré essentiellement sur la thématique ‘Cancers et environnement’, avec 3 thèmes principaux de recherche : (i) évènements liés au cancer ; (ii) estimation des expositions environnementales et professionnelles ; (iii) étiologie environnementale et professionnelle des cancers. L’étude transversale des pesticides en agriculture en constitue une préoccupation majeure. Ce laboratoire s’intéresse également aux ondes électromagnétiques. Quant aux pathologies, il se consacre plus particulièrement aux tumeurs rares.
Le laboratoire HEDEX, quant à lui, est interdisciplinaire et comprend 17 personnes. Il travaille sur 2 axes principaux intitulés : ‘Comment mieux estimer l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens ?’ et ‘Comment prévenir/réduire les expositions humaines aux perturbateurs endocriniens ?’, avec 6 approches méthodologiques : (i) synthèse moléculaire ; (ii) biotransformation ; (iii) biomarqueurs ; (iv) mécanismes cellulaires ; (v) déterminants de l’exposition ; (vi) prévention. Ses travaux ont portés notamment sur : les fonctions dose-réponse et les mélanges de PE ; le BPA dans les dispositifs médicaux (dialyseurs rénaux) ; les médicaments utilisés en néonatologie (66 sur 492 médicaments spécifiques identifiés contiennent des parabènes) ; dans le cadre d’un consortium original regroupant chercheurs, acteurs de terrain et décideurs, la co-construction des actions de réduction de l’exposition des populations aux PE et l’information des professionnels de santé et les acteurs de la société civile à cette question. Sur ce dernier thème, il a été développé un projet afin d’évaluer les effets d’un programme d’éducation pour la santé environnementale auprès de femmes enceintes afin de minimiser l’exposition aux PE, sous la forme de 3 ateliers thématiques (la qualité de l’air intérieur ; les aliments ; les produits de soins corporels), ceci au sein du concept, d’une ‘Maison de la Santé Publique’ dont les locaux sont en cours de finalisation (projet soumis à l’ARS Nouvelle-Aquitaine).
Enfin, l’organisateur de la conférence avait demandé également de traiter du sujet suivant : « La recherche comme argumentaire par rapport aux sceptiques ? » En fait, face aux preuves scientifiques, pour Virginie MIGEOT, la grande lourdeur vient des politiques, même si de rares initiatives doivent être saluées, comme l’idée d’un GIEC des PE. La situation est encore dans le système 3D : Déni – Diffamation – Délai. Mais là, comme pour d’autres sujets, le levier de la société civile est majeur : il est crucial, pour de nombreux individus, de passer du stade ‘consommateurs passifs’ à celui de ‘citoyens actifs’. D’ailleurs, il serait temps de faire vivre la Charte de l’environnement, inscrit le Préambule de la Constitution de la République Française.
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Troisième partie
Enfin, le 3ème et dernier bloc des interventions concernait des exemples de mobilisation citoyenne en santé environnementale.
Préalablement, l’organisateur de la conférence a signalé, en l’excusant, l’absence de Paul FRANÇOIS, agriculteur et président de président de Phyto-Victimes. Il devait exposer son combat victorieux contre Monsanto et les actions de son association en direction des agriculteurs intoxiqués, mais également son témoignage lié à l’intoxication subie du fait des produits phytosanitaires utilisés dans sa pratique professionnelle. Or, du fait de son état de santé, il a dû rentrer aux urgences le matin même. Espérons de le voir en bonne forme une autre fois …
La première intervention a été faite par Karine CHAGNES, Secrétaire générale du Comité pour le Développement Durable en Santé (C2DS) qui a présenté les actions menées dans le cadre de la campagne ‘Hôpital sans Perturbateurs Endocriniens’. Cette association, d’ailleurs membre du RES, a développé, dans cette campagne envers les établissements de santé, toute une série de documents (flyers, affiches de différents formats) : elle est centrée sur un objectif à réaliser par l’établissement, celui de 10 engagements concernant les PE : « Adopter les 10 éco-gestes aux côtés du C2DS, c’est contribuer à un monde plus citoyen et plus écologique ». De 17 établissements de santé au début de la campagne, actuellement 500 d’entre eux s’y insèrent. Et la campagne continue …, dont certains sont en Nouvelle-Aquitaine, comme l’a signalé M. JAOUEN, toujours présent à cette conférence.
La seconde intervention, sous forme d’un duo, était le fait de Hervé CABROL et Paul DELÈGUE, médecins et responsables de l’association Veille Santé Environnement 17, qui ont relaté les activités de sensibilisation de leur association, médiatisée par leur action contre le projet d’incinérateur à Échillais.
D’abord, Paul DELÈGUE a décrit les principes et l’historique de la création de son association, en rappelant les différentes actions contre l’incinérateur d’Échillais (près de Rochefort, en Charente-Maritime), ainsi que les activités d’information de la population locale sur divers sujets (maladies chroniques, cancers, pesticides, Charente, PE,, …), les informations et les données étant bien connues du Réseau Environnement Santé..
Ensuite, Hervé CABROL, prenant ainsi le relais, a présenté certains objectifs à venir pour son association, axant son propos sur une réflexion philosophique et conceptuelle, à partir d’items relatifs à différentes ‘révolutions’ individuelles et sur différentes questions : Oser – Penser plus large – Rester scientifique et humaniste – Interroger nos évidences – Penser ensemble la complexité – Qu’est-ce que la santé ? – Qu’est-ce que l’environnement ? – Qu’est-ce que l’homme ? Enfin, l’orateur a lancé des pistes de réflexion concernant les différentes formes d’écologie, des types possibles de médecins, en finissant par le lancement d’un projet d’atelier ouvert de pensée autour de la santé et de l’environnement.
Enfin, la conférence se terminant en nouveaux et riches échanges avec la salle, le RES Poitou-Charentes clôtura cette journée en remerciant les présents et les intervenants, ainsi que l’ARS à nouveau, tout en conviant les participants à se rendre à la table de presse pour se fournir en documentation du RES, voire de le rejoindre en laissant leurs coordonnées pour de nouveaux événements organisés en région Nouvelle-Aquitaine par le RES, notamment un prochain colloque sur l’Eau.