André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé, cosigne cette tribune du JDD, suivie d’une pétition, avec une quarantaine de personnalités et demande l’organisation d’États Généraux de la Santé Environnementale.
Notre système de santé publique est à réinventer
Une convention citoyenne pour repenser la santé publique
Le drame sanitaire que nous traversons nous éclaire sur l’essentiel : nous devons demain penser le changement en passant d’une société de prédation à une société de protection. Nous devons prendre soin de nous, des autres, de la biodiversité, de notre patrimoine, de notre santé.
Il faut renouer avec le volontarisme du programme « Les Jours Heureux » du Conseil national de la Résistance, élaboré dans la nuit de l’Occupation et qui a permis la naissance de la Sécurité sociale et qui se donnait un objectif précis : « combattre pour la vie et la santé des Français par une lutte quotidienne et incessante ».
La crise sanitaire que nous traversons est une crise de la pénurie qui solde l’agonie d’une politique de santé publique ayant abîmé à l’extrême un modèle social fondé sur la solidarité et l’égal accès aux soins pour toutes et tous.
Elle révèle notre vulnérabilité extrême face à des chaînes de production mondialisée et des échanges internationaux en flux tendu, qui nous prive en cas de crise des biens et personnes de première nécessité : personnel, structures d’accueils, médicaments essentiels, appareils respiratoires, masques…
Ce nouveau virus a mis en exergue la fragilité de notre modèle libéral productiviste fondé sur la globalisation et la loi du marché. Il a montré aussi que plusieurs décennies de logique néolibérale nous ont placés dans une dépendance et une insécurité sanitaire extrêmes, avec la grande difficulté de nos hôpitaux à absorber le nombre de malades qui en ont besoin et à une insuffisante coordination du secteur public et de la médecine libérale. Le numérus clausus, mis en place en 1972 et maintenu depuis lors, a provoqué un déficit de médecins dans notre pays et entraîné de véritables déserts médicaux.
Après-guerre, le projet de Sécurité sociale a su conjuguer mieux-vivre et redressement économique, en instaurant des droits fondés sur les principes de solidarité et de redistribution : protéger les travailleurs des aléas de leur activité, garantir la vieillesse par un revenu, assurer des soins pour tous, aider la famille et réduire les inégalités. Ce modèle s’est peu à peu érodé et il est plus que jamais menacé.
Notre système de soins solidaire subit des tensions liées au vieillissement de la population, à l’épidémie de maladies chroniques souvent liées à des facteurs d’origine environnementale, et au renchérissement des produits de santé (médicaments, vaccins, dispositifs médicaux) lié à la dérive de Big-Pharma. Il souffre également d’une mauvaise répartition des moyens matériels et humains sur le territoire, conduisant à la création de nombreux déserts médicaux.
Notre politique de santé publique doit avoir pour objectif de donner à tous et partout un bon niveau de protection contre les risques sanitaires et un accès aux soins correct. Notre souveraineté sanitaire doit être garantie en relocalisant la production de produits de santé essentiels) pour éviter les pénuries et la dépendance à l’étranger. Nous devons sauvegarder le niveau de la prise en charge publique des dépenses de santé pour les patients. Nous devons augmenter au niveau nécessaire les investissements hospitaliers. Nous devons garantir l’accès aux médicaments anciens et nouveaux (en régulant leur prix via l’arme de la licence obligatoire si nécessaire et par une politique de stockage en maîtrise publique de matières premières et de produits finis). Enfin, il faut cesser de réduire les effectifs des professionnels de santé et les adapter aux besoins réels et garantir des rémunérations dignes et égales pour tous, quelles que soient les conditions d’exercice. Ils jouent un rôle essentiel dans notre société et forment un des derniers remparts en cas de crise sanitaire grave comme celle que nous traversons.
Le financement de la politique de santé doit être repensé pour tenir compte des modifications du monde du travail depuis 1945. Il n’y a pas de solution miracle mais une juste répartition des efforts dans un système de santé bien géré. (qui pollue doit payer, qui rend malade doit contribuer aux soins).
Il est grand temps également de mener une politique volontariste de santé environnementale et de lutter, comme le recommande l’OMS, contre l’épidémie de maladies chroniques en agissant sur les causes. La lutte contre les addictions et les comportements individuels a permis incontestablement de faire reculer le tabagisme et l’alcoolisme. Il faut s’attaquer également aux autres causes majeures : malbouffe, sédentarité, pollution de l’air et des sols, contamination chimique (pesticides, perturbateurs endocriniens et nerveux). Il est grand temps de mettre la santé environnementale au premier plan de la politique de santé.
C’est un changement de paradigme qui s’impose, une vision globale de la santé, qui ne se réduit pas seulement au système de soin mais intègre aussi la prévention, anticipe les futures épidémies qui ne manqueront pas d’arriver avec les bouleversements liés au changement climatique…
Exigeons une conférence citoyenne dès cet automne pour repenser dans sa globalité notre système de santé publique afin de mieux faire face demain aux crises sanitaires, et pour mieux prévenir les risques et améliorer la qualité et l’accès aux soins pour tous. Mettre l’usager au centre de la réforme et de la gouvernance du système de santé est un impératif catégorique.
La santé est notre Bien commun le plus précieux. Il faut cesser de penser les politiques de santé publique comme un service marchand mais bien comme un service public universel, un commun qui prend en compte la part d’autrui ou la part commune, celle qu’il faut préserver, partager, et le cas échéant redistribuer.
Repenser notre système de santé est un moyen de retrouver le ciment nécessaire à la construction d’un mieux vivre ensemble dans une société juste et solidaire, respectueuse de la biodiversité et prenant soin de ses concitoyens.
Premiers signataires :
Guillaume Ageorges (intervenant en prévention santé, responsable associatif dans le domaine de la santé),
Yazid Attalah (échographiste, animateur d’une association d’accès aux soins dans les quartiers populaires),
Etienne Ballan (sociologue, spécialiste de la démocratie participative, responsable de la Commission Nationale du Débat Public -CNDP),
Vanessa Balzano (infirmière hospitalière, Hôpital Européen, Marseille)
Sébastien Barles (docteur en droit public, co-fondateur de l’Opération Mains propres sur la santé et de la Marche des cobayes),
Marie Odile Bertella Geffroy (ex-magistrate responsable du Pôle santé de la Cour d’appel de Paris / avocate)
William Bourdon (avocat, fondateur de l’association Sherpa, ex.secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l’homme
Dominique Bourg (philosophe, vice-pdt de la Fondation Nicolas Hulot)
Valérie Cabanes (juriste en droit humanitaire et en droit international des Droits de l’Homme)
Nicole Caparros-Mencacci (Enseignant-Chercheur Sciences de l’Éducation)
Philippe Carlini (avocat, spécialiste en Santé),
Patrick Charbonnier (technicien de laboratoire pharmaceutique)
Pierre Olivier Chaumet (doyen de l’UFR Droit de l’Université Paris 8),
André Cicolella (toxicologue, lanceur d’alerte, fondateur du Réseau Environnement Santé),
Hubert Colas (metteur en scène, directeur de théâtre)
Philippe Colomb (Délégué Général d’une association de Lutte contre le Cancer)
Thomas Dietrich, écrivain (ex secrétaire général démissionnaire de la Conférence nationale de santé),
Karim Djebali (aide-soignant Hôpital Nord Marseille)
Gérard Dumont (ex secrétaire général de la Ville de Marseille et Directeur général des services de la ville de Lille),
Philippe Even (pneumologue, ex Président de l’Institut Necker)
Philippe Foucras (Médecin généraliste, fondateur du Formindep),
Didier Lambert (association E3M),
Maxime Lauria (Assistant coordonateur SAMU),
Corinne Lepage (ex Ministre de l’environnement, avocate),
Annie Lévy-Mozziconacci (Médecin généticien à l’Hôpital Nord de Marseille),
Dominique Lombardo (Ex Directeur du Centre de Recherches en Oncobiologie et Oncopharmacologie, Faculté de médecine Timone Marseille),
Malika M’Changama (conseillère chargée de projets à Pôle emploi),
Noël Mamère (journaliste, avocat, ex député et maire de Bègles),
Zoubida Meguenni (responsable politique de la ville et de prévention des risques),
Antoine Meunier (spécialiste du numérique, co-fondateur d’une ONG d’aide aux réfugiés),
Gilles Nalbonne (Directeur de recherche émérite INSERM, animateur du Réseau Environnement Santé),
Pascale Paul (chercheuse INSERM),
François Pesty (Pharmacien, expert en administration des médicaments en milieu hospitalier et membre du Formindep),
Pierre Pezerat (réalisateur, documentariste)
André Picot (Toxicologue, créateur de l’unité de prévention du risque chimique au CNRS),
Halima Saidi (infirmière à l’Hôpital en Seine Saint Denis),
Gilles-Éric Séralini (biologiste français, cofondateur du CRIIGEN et lanceur d’alerte sur les dangers des OGMs et des pesticides),
Yves Sintomer (professeur de Sciences politiques, Université Paris 8)
Jacques Soncin (journaliste, consultant média)
Jacques Testart (biologiste, père scientifique du premier bébé éprouvette, fondateur de Sciences Citoyennes)