Réduire l’exposition aux perturbateurs endocriniens permettrait de réaliser 31 milliards d’euros d’économies en dépenses de santé dans l’Union européenne
· L’augmentation rapide des troubles hormono-dépendants peut être liée à une exposition à des perturbateurs endocriniens, substances chimiques de synthèse présentes notamment dans les aliments, les boissons et les produits du quotidien.
· Selon une nouvelle étude, si réduire l’exposition aux perturbateurs endocriniens permettait d’éviter un petit nombre de cas de cancers hormono-dépendants, de diabète, d’obésité et d’infertilité, des milliards dépensés en lien avec ces maladies et leurs conséquences seraient alors économisés.
· Un changement de politique européenne en matière de produits chimiques pourrait réduire de manière drastique les coûts associés à ces maladies et leurs conséquences. Il est maintenant temps pour l’UE d’agir.
Bruxelles, le 18 Juin 2014 – L’exposition à des perturbateurs endocriniens pourrait coûter jusqu’à 31 milliards d’euros par an à l’Union européenne (UE), selon un rapport publié aujourd’hui par l’Alliance pour la santé et l’environnement (HEAL). (1)
Les calculs ont établi une liste de maladies et troubles identifiés par les scientifiques experts des PE des perturbateurs endocriniens comme hormono-dépendants :
· troubles de la reproduction et de la fertilité, dont baisse de la qualité du sperme
· malformations de l’appareil reproducteur chez le petit garçon, telles qu’hypospadias ou cryptorchidie
· cancers du sein, de la prostate, des testicules
· troubles du développement de l’enfant, tels qu’autisme et troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité (ADHD)
· obésité et diabète (1)
Nombre de ces pathologies connaissent une augmentation rapide. Par exemple, hormis les pays où la prévalence était déjà élevée comme les Pays-Bas et l’Autriche, le cancer de la prostate est en augmentation rapide dans tous les pays de l’UE et on assiste à une hausse dramatique des cas de cancer du sein dans les pays du Sud et de l’Est (2). La prévalence élevée de l’autisme et du ADHD est devenue alarmante. Par ailleurs, les experts estiment que les perturbateurs endocriniens ont un impact particulier sur la baisse de QI qui empêche les enfants d’exploiter tout leur potentiel. Les effets d’une exposition fœtale aux perturbateurs endocriniens, ne sont pas visibles tout de suite, à l’image des risques plus élevés de cancer hormono-dépendant et de baisse de la qualité du sperme.
HEAL a sollicité le Dr Alistair Hunt de l’Université de Bath, économiste environnemental, et le Dr Julia Ferguson, professeure invitée à la UK Cranfield School of Management pour calculer les coûts globaux associés à ces maladies. Selon leurs estimations, ces coûts s’élèveraient entre 636 et 637 milliards d’euros par an (3). Des chiffres très probablement sous-estimés à cause par exemple de l’absence de données sur les coûts associés aux pathologies identifiées.
Seule une partie des coûts liés aux troubles hormono-dépendants peut être attribuée à l’exposition aux perturbateurs endocriniens. D’autres facteurs majeurs tels que la susceptibilité génétique, le mode de vie – régime alimentaire, tabagisme ou manque d’activité physique – doivent aussi être pris en compte. Cependant, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a noté que la « charge environnementale des maladies » liée aux produits chimiques est très probablement sous-estimée à cause du manque de données (4).
Une récente étude américaine (USA) a ainsi estimé que le seul bisphénol A (BPA) migrant à partir des contenants alimentaires vers les aliments contribuerait à hauteur de 1,8% à l’obésité infantile (5). Sur cette base, on peut estimer raisonnablement que la contribution de toutes les expositions à des perturbateurs endocriniens est comprise entre 2 et 5%. Une contribution de 5% des expositions à des perturbateurs endocriniens aux troubles hormono-dépendants serait équivalente à environ 31 milliards d’euros par an pour les 28 Etats membres de l’UE (1).
Ces dix dernières années, les données faisant état de liens entre expositions à des perturbateurs endocriniens et troubles de la santé chez l’être humain se sont multipliées, comme le montre un rapport de l’OMS paru en 2013. En tant que plus haute autorité de santé sur le plan international, l’OMS conclut clairement que l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens représente une « menace globale » à laquelle il faut réagir. (6)
Pour Genon K Jensen, directrice exécutive de HEAL: “Une part de l’augmentation de ces taux de pathologies hormono-dépendantes en Europe est probablement liée à l’exposition à des substances chimiques de synthèse qui contaminent nos organismes et dérèglent notre système hormonal. L’UE doit faire passer la santé d’abord et interdire ces substances. Une action rapide permettrait d’éviter de nombreuses souffrances et peut-être de réaliser près de 31 milliards d’euros annuels d’économies en dépenses de santé et en perte de productivité.”
Les chiffres pour la France
Le rapport de HEAL estime pour la France le coût des pathologies hormono-dépendantes, indépendamment des facteurs de risque associés, à près de 82 milliards par an (tableau 1). Si 5% de ce total était directement lié à une exposition aux perturbateurs endocriniens, on peut estimer les coûts de l’exposition aux perturbateurs endocriniens pour la France à près de 4 milliards par an (tableau 2).
“ Alors que la Loi de Santé Publique sera très prochainement discutée, 4 milliards d’euros d’économies liées à une simple réduction des expositions aux perturbateurs endocriniens identifiés seraient une économie substantielle et bienvenue dans cette période de contractions budgétaires. Inscrire cette action dans la grande loi de santé nationale serait par ailleurs cohérent avec la Stratégie Nationale Perturbateurs Endocriniens adoptée récemment par la France. ”, estiment ainsi les associations WECF France, Réseau Environnement Santé et Générations Futures.
HEAL demande que l’ensemble des réglementations européennes évoluent pour réduire les expositions aux perturbateurs endocriniens. L’UE doit également mettre en place un calendrier pour permettre d’identifier puis de remplacer les perturbateurs endocriniens par des alternatives plus sûres.
“Nous attendions de la part de la Commission européenne un paquet législatif perturbateurs endocriniens il y a un an déjà, comprenant une nouvelle stratégie perturbateurs endocriniens, ainsi que des critères de définition pour appliquer les règlements pesticides et biocides qui interdisent les perturbateurs endocriniens. Nous attendons toujours ces mesures. Alors que les données scientifiques sur les effets néfastes des perturbateurs endocriniens se multiplient, des pays de l’UE prennent les devants en interdisant certains PE. La Suède a décidé d’attaquer la Commission européenne devant la Cour de Justice de l’UE pour son retard dans ce dossier. Par ailleurs, lors du conseil des ministres de l’environnement de l’UE du 12 juin dernier, cinq pays ont soutenu la délégation française qui, forte de sa récente Stratégie nationale, a obtenu l’inscription des risques des perturbateurs endocriniens pour la santé à l’ordre du jour de la réunion (7). Le temps écoulé sans réduction des expositions est autant de temps pendant lequel les populations payent l’addition par la dégradation de leur état de santé. « , conclue G. Jensen.
L’UE a certes adopté des mesures législatives ciblées sur certains perturbateurs endocriniens, sur la base du principe de précaution, à l’image de l’interdiction du BPA dans les biberons en plastique dans en 2011. Plusieurs pays ont également pris des mesures nationales sur d’autres substances. Le recul et les nouvelles données scientifiques disponibles montrent clairement que les actions législatives pour protéger et améliorer la santé mises en œuvre par le passé – même en l’absence de 100% de preuves d’effets néfastes – sont justifiées (8). Les mesures de contrôle du tabagisme, prises avant la mise en évidence par les scientifiques d’une explication biologique du lien causal, en sont une bonne illustration.
Notes
1. Dépenses de santé en Europe : quelle part liée à l’exposition aux perturbateurs endocriniens ? http://www.env-health.org/news/latest-news/article/health-costs-in-the-eu-how-much-is (en anglais)
2. Déclaration de Berlaymont signée par 89 scientifiques en faveur de mesures sur les perturbateurs endocriniens, http://www.env-health.org/resources/press-releases/article/heal-responds-to-berlaymont
3. Estimation des coûts économiques par pays des maladies et troubles liés à l’exposition aux perturbateurs endocriniens, rapport technique du Dr Alistair Hunt de l’Université de Bath, économiste environnemental, et du Dr Julia Ferguson, professeure invitée à la UK Cranfield School of Management
4. Prüss-Ustün et al. 2011, “Knowns and unknowns on burden of disease due to chemicals: a systematic review”, Environmental Health 2011, 10:9. http://www.ehjournal.net/content/10/1/9
5. Personne ne connaît la contribution exacte de l’exposition aux perturbateurs endocriniens dans le coût global des maladies chroniques Trasande L, 2014,“Further limiting Bisphenol A in food uses could provide health and economic benefits” disponible sur content.healthaffairs.org/content/early/2014/01/16/hlthaff.2013.0686 estime que que le seul bisphénol A (BPA) migrant à partir des contenants alimentaires vers les aliments contribuerait à hauteur de 1,8% à l’obésité infantile. Il semble donc raisonnable d’estime ce chiffre entre 2 et 5%.
6. État de la Science sur les perturbateurs endocriniens, rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 2012. Rédigé par Ake Bergman, Jerrold J. Heindel, Susan Jobling, Karen A. Kidd et R. Thomas Zoeller
7. Conseil des ministres, Communiqué de presse, 3320ème réunion du Conseil Environnement, Luxembourg, 12 juin 2014 http://consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/envir/143188.pdf
8. « Signaux précoces et leçons tardives », Vol I & II. http://www.eea.europa.eu/publications/late-lessons-2